Ce livre est incompréhensible si l'on n'a pas lu les deux précédents : "Neuromancien" et "Comte zéro". Ces deux romans étaient déjà passablement cryptiques, et "Mona Lisa overdrive" (mais le titre français est pas si mal) est censé fournir une conclusion à ce cycle, histoire que tout s'explique... Ha ha, la bonne blague.
On retrouve des personnages à la fois de "Comte zéro" et de "Neuromancien" (même si on peut déplorer l'absence de Case. On l'excuse, car il faut dire qu'il avait bien besoin de se reposer à la fin de Neuromancien. Roman véritablement habité, sur la fin, par le personnage de Molly la razorgirl. Et ce n'est que justice.
L'intrigue de ce roman est assez cousue de fil blanc, au bout du compte : on se fiche un peu de qui fait quoi, au bout du troisième Gibson je commence à comprendre que la cuisine sera un peu toujours la même : un final avec des hommes de main qui mènent un assaut contre des héros un peu paumés, mais qui arrivent quand même à les massacrer, et une résolution par la matrice. Ici Gibson vire presque dans le pastiche : la violence est montrée de manière décalée, à travers les yeux bourrés de drogue (le wiz) de Mona, et le danger n'est pas exprimé de manière vraiment sérieuse : on a plutôt l'impression d'être dans un opéra-bouffe.
Cela n'empêche pas que l'univers soit toujours aussi fascinant : de l'évolution de la matrice, à ce fameux aleph, dont on ne comprend pas tout. De Colin, l'hologramme de puce Maas-Neotek à Swift, l'assistant électronique d'Angie, qui remplit un peu le rôle qu'a pour nous Wikipedia aujourd'hui (répondre à tout à la demande), des notations sur la pollution en Floride, à l'environnement du squat de Cleveland, en passant par les arcologies de Manhattan ou le centre-ville de Londres, on est baladé d'un bout à l'autre d'un univers cohérent, fascinant, et refermé presque trop vite. On aimerait que ça ne s'arrête jamais.
Au terme de la lecture de ce cycle, outre les remarques que j'ai déjà faite sur la précision incroyable de Gibson pour décrire des environnements urbains ou des machines, je veux aussi revenir sur la poésie qu'il arrive paradoxalement à faire naître à partir d'éléments miteux. Ce n'est pas un hasard si dans deux de ses romans, au moins, il est fait référence à des artistes qui font de l'art à partir de matériaux de récupération. Il fait de même. Alors que sa narration très visuelle et nerveuse apparente ses romans à des mangas couchés par écrit, Gibson arrive à dégager à partir d'un simple sac de couchage plus de poésie que ne pourrait le faire le moindre graphiste.
Un dénouement guère sérieux pour un cycle qui, cela ne fait nul doute, a beaucoup apporté à la Science-Fiction.