« Monsieur chasse ! » est la première des pièces de Feydeau dans la liste ininterrompue de ses grands succès, jusqu’à ce qu’il décide de ne plus écrire. Venant après une longue série d’échecs qui l’avaient placé dans une situation matérielle précaire, cette réussite était on ne peut plus bienvenue.
Le canevas de la pièce fait déjà pressentir que Feydeau a bien saisi en quoi consistait la « mécanique » explosive et extravagante du vaudeville, dont il a tiré sa célébrité : trois couples illégitimes se retrouvent dans le même appartement, alors que chacun pensait y trouver l’isolement nécessaire à ses accomplissements infidèles. Pire, ces personnes se connaissent presque toutes entre elles, et se trouvent systématiquement en présence de la personne qui devrait le plus possible ignorer leur infidélité (donc, le plus souvent, le mari et la femme légitime se rencontrent alors que chacun des deux trompe l’autre avec un partenaire planqué dans l’urgence dans le placard d’à côté). D’où une cascade de mensonges, de manœuvres de dissimulation, d’objets compromettants qu’il faut faire disparaître rapidement, etc.
Les personnages sont fort bien différenciés, et ne sont pas de simples marionnettes qui s’agitent et bondissent : Léontine, femme du personnage principal, Duchotel, reste constante dans son désir de ne pas se compromettre avec Moricet, en dépit de l’infidélité attestée de Duchotel. Moricet, médecin, se croit poète, mais il n’a composé que quatre vers qu’il cherche à caser aussi souvent que possible. Madame Latour, aristocrate déchue au point de jouer un rôle de concierge, mais tenant à rappeler sa dignité.
Plusieurs rythmes s’entrecroisent : le démarrage de la pièce, assez long, est écrit sur le ton de la simple comédie, et les échanges entre Léontine et Moricet, quoique agrémentés de traits d’humour, restent réalistes, et ne présentent pas cette folie étourdissante qui règnera à la fin de la pièce. Mais, dès que les personnages se retrouvent – pour des raisons dont la vraisemblance n’est pas la première vertu – en pleines entreprises d’infidélité au « 40, rue d’Athènes », le moteur comique s’emballe, les péripéties et les renversements de situation se succèdent à une cadence ébouriffante d’autant que, du fait de ces cocufications croisées, plusieurs personnages découvrent un moyen de faire pression sur leur partenaire légitime, assez logiquement mécontent d’apprendre son infortune conjugale.
A une échelle plus petite, le rythme des répliques – trahissant souvent, par des apartés, les pensées secrètes des personnages, dont le caractère cru et calculateur contraste avec les protestations d’innocence et de bonne volonté qu’ils profèrent hautement à chaque instant. Parmi les habitudes récurrentes de Feydeau, on notera des répliques dans lesquelles un personnage traite d’imbécile un mari cocu et ignorant de son malheur, alors que la situation dont il parle est la sienne propre...
Le caractère archétypal de cette pièce est accentué par son côté « pantalonnade » (un pantalon baladeur y joue un rôle important, et plusieurs personnages se retrouvent en caleçon), et, bien entendu, par la présence exemplaire de l’incontournable réplique : « Ciel ! Mon Mari ! » (Acte II, scène XIII). Une réplique agréablement subversive sur le mariage en Acte II, scène IV.
Si le rire est nécessaire à l’homme, alors Feydeau est l’un des bienfaiteurs de l’humanité.