Monsieur Teste
7.2
Monsieur Teste

livre de Paul Valéry (1896)

Peut-être jamais une œuvre aussi courte (à peine 20 pages) n'aura eu un impact aussi important que "La soirée avec Monsieur Teste", sorte de monstre littéraire qui agrège la plus pure abstraction aux formes traditionnelles du portrait fin de siècle d'un vieil excentrique acariâtre. Valéry n'a pas 25 ans et déjà une crise existentielle derrière lui (à Gênes, c'est classe), il s'en est sorti en se promettant de devenir le propre observateur de son Moi ; une vie par flottaison, sans colère et sans haine.

"La soirée" s'en ressent, sorte de statue de glace construite pour essayer de capturer l'image impossible d'une intelligence surpuissante décidant de s'incarner pour vivre parmi les hommes, statue qui fond irrémédiablement au souffle chaud de tout passant/lecteur qui voudrait l'approcher. Objet à la fois énervant et fascinant, redondant mais créé pour cette redondance, par cette redondance même. Écriture lisse à force d'être précise, comme d'une boule incandescente qui aurait tant tourné dans l'espace interstellaire qu'elle en serait devenue aussi froide que polie. Brillant et impersonnel miroir tendu à qui voudra bien s'y mirer, à ses risques et périls. Paul, mon petit, vous êtes un brin agaçant. Vous semblez avoir prévu toutes les critiques, toutes les objections, et vous les incluez dans votre texte avant même qu'on vous les fasse. A se demander si on n'a pas envie de vous les faire de les avoir deviné blotties déjà entre vos mots. Pince-sans-rire par dessus le marché, votre humour de croque mort est assez imparable, bien que très discret. Diable d'homme.

Le livre allait propulser le jeune Valéry à une place compliquée à garder : être le Rimbaud de l'Intellect, oxymoron tragique s'il en est (d'ailleurs le jeune homme va choisir de disparaître de la scène littéraire pendant près de 20 ans, gardant toute son énergie créatrice pour rédiger ses Cahiers, avant de revenir transformé à la fin de la première guerre mondiale). À plusieurs reprises, Valéry ajoutera à son coup d'épée inaugural quelques addenda, multipliant les angles d'attaque histoire de creuser l'inexprimable à petits coups d'aiguille répétés : une lettre d’Émilie Teste, femme du grand homme, des extraits du log-book (le blog de l'époque) de Monsieur Teste, la Lettre d'un ami (formidable jeu de massacre mondain), une promenade, un dialogue au coin du feu, etc… comme pour prouver que sous les décombres d'un siècle mourant d'avoir trop et trop mal pensé, trop et trop mal senti, sans que jamais personne n'essaye de relier ces deux façons de voir le monde, Monsieur Teste, lui, était encore vivant. Mais reste l'éternelle question : vivant, et seul… à quoi bon ?
Chaiev
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le 26 nov. 2013

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