Des mains de Qiu Xiaolong coule une encre de chine qui, haute en couleurs, nous entraîne dans un polar saisissant mais qui, surtout, nous introduit dans une Chine de la fin des années nonante où tout bascule (le peuple s'émancipant et accédant petit à petit à la puissance de l'argent) mais où rien ne bouge (chacun des actes de l'individu, de ses pensées et de leurs manifestations sont consignée dans le livre-mémoire d'un régime fort et communiste. Le tout restant parfaitement huilé et cadenassé dans "L'organisation d'état" même si la poussière d'or d'une ouverture aux réalités du monde se laisse quelques peu deviner.
Mais en Chine, comme ailleurs, la mort tragique a sa place, les enquêteurs de police aussi. Chen peut donc entrer en scène et nous surprendre. A l'opposé de bien des enquêteurs qui se sont installés un peu partout dans le monde des romans en même temps que dans l'alcoolisme, les pieds de nez aux procédures, les aigreurs de la solitude et des rivalités entre collaborateurs, l'Inspecteur Principal Chen est un ovni. Il enquête avec efficacité, probité et malgré cela, il nous captive, nous accompagne dans notre découverte progressive de l'intrigue, des pistes à poursuivre et des virages à prendre dans notre façon d'aborder les situations. Au final, il aura raison, avant nous, et justice sera rendue, bien sûr.
Mais l'intérêt du livre n'est pas tant de savoir qui a tué Guan Hongying, héroïne rouge, "travailleuse de la nation", véritable égérie de l'empire communiste. L'intérêt est de saisir combien sont complexes les jeux de pouvoir dans une Chine qui présente au monde le visage lissé de son unicité derrière la Machine du Parti alors que, entre conservateurs et novateurs, la guerre interne pour le pouvoir existe bien, la loi des règlements de compte aussi tandis que celle qui régit les mœurs reçoit plus de coups de canifs que l'on croit de la part de ces hauts serviteurs du régime...
Bref, une enquête intéressante, un polar qui sort de l'ordinaire, un style, une écriture à découvrir. Que vouloir de plus ?