Quel intense plaisir de lire de la littérature qui ne retient pas ses coups, qui vous les assène sans gants, en pleine poire et avec un talent qui suinte absolument de chaque ligne. Car Nick Cave, non content d'être un superbe musicien , est aussi un auteur comme on voudrait en rencontrer davantage. Sa prose est tout simplement magnifique (attention : je ne sais pas ce que vaut la traduction...), à des années-lumières de nos petits Goncourt et Femina et autres litté-rateurs de salon. "Mort de Bunny Munro" n'est sans doute pas un livre pour tout le monde. Combien de fois supportez-vous de lire le mot vagin dans une page? Combien d'érections glorieuses et tristes à mourir pouvez-vous contempler sans faiblir? Voilà un livre qui ne ménage pas notre sensibilité. Et un bouquin aussi cru, écrit dans une prose pareille, d'une richesse et d'une élégance presque parfaite, voilà qui vous secoue comme un prunier. Vous voilà prévenu(e)s.


L'histoire que nous conte Cave est assez banale au premier abord: un homme obsédé par le sexe et sérieusement attiré par la bouteille, voit sa concupiscence et sa bêtise crasse récompensées par le suicide de sa femme. Seul avec son gosse de neuf ans, le voilà, ce séducteur à la Tex Avery ,voit sa vie se déglinguer davantage encore au cours d'un périple (il est voyageur de commerce) qu'il effectue, désorienté et pathétique, avec son fils Bunny Jr.
Nick cave ne fait pas dans le drame social, même si cet aspect est clairement présent dans son livre (une galerie extraordinaire de desperate housewives, d'alcooliques, de drogués et de gens ordinaires). Mais il observe de façon crue et hilarante les différentes rencontres de cet homme perdu avec ses clientes, les conversations parfois irréelles avec son fils, les désespérantes tentatives de séduction. Il suit au plus près les fantasmes hallucinés qui lui traversent l'esprit, nous met aussi dans la peau de son adorable gamin de neuf ans, éperdu d'admiration pour son papa, cherchant le fantôme de sa mère et en même temps pas si dupe que ça de tout ce drame.


Il est beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup question de sexe (Kilye Minogue et Avril Lavigne ont droit à un mot d'excuse à la fin du livre) et certains passages sont réellement assez sévères. mais le style et l'humour de cette prose tiennent magiquement ce roman au-delà du sordide auquel son sujet pourrait le vouer. Car il y a beaucoup à rire, et on lève les yeux au ciel plus d'une fois devant les frasques de ce Dom Juan de pacotille. Et puis il y a autre chose, quelque chose de bine plus sinistre, un rôdeur dans l'ombre.... Car de loin en loin, un mystérieux camion (Duel de Spielberg?), un redoutable tueur en série cornu, et au coin de l’œil, cette insistante présence d'un fantôme orangé... Cave manie très bien cette alternance d'humeur, entre rire énaurme , horreur et inquiétude. On tourne chaque chapitre avec curiosité et presque angoisse.


Cave tient superbement son pari de nous faire nous intéresser à un grotesque et touchant personnage de loser, de nous attacher à un chouette gosse trop intelligent, de nous faire frémir dans une aventure banale de bêtise qui s'achève dans une apocalypse digne de David Lynch. Et dans chaque paragraphe, je ne peux que le répéter, ce talent aveuglant, qui empêche le livre non seulement de sombrer dans la provocation sordide (beaucoup s'y seraient cassé les dents), mais de faire vivre dans la fange tous ces beaux sentiments qui font de nous des anges face à ce diable qui nous attend. Recommandé sans réserve (enfin si, ce livre n'est sans doute pas à mettre entre toutes les mains...)


PS : lisez aussi son autre bouquin "Et l'Ane vit l'ange" un autre très bel exemple du talent de Nick cave pour l'écriture.

nostromo
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes étagères se remplissent , Ikea est content... et 2014 : une année de lecture

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le 7 nov. 2014

Modifiée

le 7 nov. 2014

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nostromo

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