Mr Gwyn
7.9
Mr Gwyn

livre de Alessandro Baricco (2011)

Quand l'écriture se fait peinture... ou l'inverse...

My Gwyn d'Alessandro Baricco (auteur que je découvre avec ce livre) raconte l’histoire d’un auteur anglais qui, après quelques romans à succès, décide qu’il est temps pour lui de mettre fin à sa carrière d’écrivain. Et ce Mr Gwyn, qui donne son titre au roman, se choisit comme nouveau gagne-pain l’étrange métier de copiste d’êtres humains.


Voilà pour le résumé de l’histoire qui n’est en effet, pas vraiment compliquée en surface. Quoi de plus classique qu’un roman qui aborde le sujet de la relation entre l’auteur et son art, entre l’écriture et le sens de la vie, entre la recherche de soi et l’envie d’écrire ? Plus d’un auteur s’y est essayé, certains mieux que d’autres (je pense ici par exemple à l’incroyable John Irving qui semble beaucoup se questionner sur le sujet, et qui en fait de merveilleux romans), et on pourrait croire que le tour de la question a été fait.


Sauf qu’évidemment, en littérature, le tour de la question n’est jamais vraiment fait, et le cas Mr Gwyn nous plonge dans un questionnement farfelu, plein de lumière et de musique, de magie et de maniaqueries, d’amour, d’ennui, de peur, de manque, de…


Pour un court roman – d’à peine plus d’une centaine de pages – Mr Gwyn réussi on ne sait comment à atteindre le niveau d’une sorte de symphonie littéraire qui laisse une grande place à l’imagination et à la rêverie tout en apportant son lot de questions existentielles sur le sens de la vie, de la passion ou de la raison.


L’auteur partage avec nous les errances de son personnage principal, Jasper Gwyn, cet écrivain qui ne trouve pas sa place dans le monde des écrivains et des éditeurs, des agents et des avances sur droits et qui se résoud à tourner le dos à sa raison de vivre : l’écriture.


Sauf que l’écriture le rattrape, et entre ses recours désespérés à une « écriture mentale clandestine », une vieille dame de bon conseil croisée dans une laverie et une galerie d’art qui expose des portraits de nus, Jasper Gwyn trouve un sens, au moins temporaire, à sa vie. Il se lance alors à corps perdu dans son nouveau projet, au grand désespoir de son agent littéraire, Tom, qui tente par tous les moyens de le faire revenir à la raison – et à l’écriture qui rapporte de l’argent !


C’est d’ailleurs en essayant de reconquérir son poulain que le pauvre Tom mettra entre ses pattes une jeune femme – Rebecca – qui fera d’une certaine façon office de catalyseur en permettant le lancement officiel du projet de Jasper Gwyn. Parce que si ce dernier a passé des mois à mettre en place une véritable magie autour de son atelier de copiste, il n’a pas une idée précise de ce qu’il en fera une fois qu’il sera prêt. Et c’est à ce moment-là que Rebecca devient bien plus qu’une assistante reliant un agent bafoué à un auteur blasé...


C’est par un assemblage d’êtres humains torturés, de relations ambigües, de poésie des corps et des mots, de mystère et d’une pointe de magie qu’Alessandro Baricco nous entraîne dans sa composition. Et entre romantisme authentique et fantaisie britanique, ce roman est porté par une légèreté sincère qui guide ses personnages à travers leurs questionnements existentiels.


L’attrait qu’exerce ce roman tient à sa capacité à nous perdre dans les remous de sentiments de ses personnages qui se laissent guider par leurs passions tout en restant eux-mêmes, à la fois artistes en recherche de lui-même et maniaque en quête d’une précision d’horloger pour Jasper Gwyn, ou femme fatale dans un corps incontrôlable qui se découvre une attirance pour le discordant, le tourmenté voire même l’irréel pour Rebecca, le modèle premier, l’enquêtrice, l’amoureuse.


Quant aux autres modèles, ces humains qui passent sans rester, laissent une marque indélébile sur ce copiste qui les sonde pendant des heures, des jours pleins d’une lenteur cotonneuse dans laquelle on s’imerge en perdant la notion du temps. Car lenteur il y a dans ce roman, une sorte de lenteur poétique qui ne nous révèle que très peu, nous laissant le soin de combler les vides du récit, aussi bien ceux qui concerne la musique qui tourne en boucle dans l’atelier que ceux des motivations des personnages qui avancent dans une direction qu’on ignore, qu’ils ignorent peut-être eux-mêmes...


Difficile d’entrer dans les détails de ce roman pourtant si court, et impossible de retranscrire la sensation qu’on a quand la dernière Catherine de Médicis, incroyable et merveilleuse ampoule de l’atelier s’éteint pour plonger dans le noir le copiste et son modèle. Impossible aussi de raconter la première session de portrait, ses silences pesants qui deviennent apaisants et qui mettent à nue Rebecca face à Jasper, et Jasper face à lui-même…


Et que dire finalement de ces portraits, mystérieux dossiers destinés à rester à tout jamais un secret précieux connus seulement de l’artiste et son modèle, ces portraits qui transcendent les corps, les paroles et les instants pour ne garder qu’une profondeur trop vraie, trop précise des êtres qui se révèlent dans toute leur simple vérité ?


On se demandera toujours comment Jasper Gwyn réussit, sous son ciel de Catherine de Médicis, à écrire des êtres humains, à retranscrire leur nature vivante, celle qu’aucun peintre ne pourra jamais capturer. Mais ça, nous ne le saurons jamais parce que ces portraits resteront pour toujours des secrets...


Mais finalement, même si l'on reste dans l'ignorance, même si les personnages qu'on lit sont parfois à la limite de la caricature, même si cette interrogation fondamentale sur le sens de la vie et l’appel de l’écriture ne sont pas d’une grande originalité, la réponse pleine de fantaisie et d’humour, d’ironie même parfois, qu’apporte Alessandro Baricco à cette éternelle question de l’écrivain en quête de lui-même est riche d’une poésie et d’une tendresse qui font de ce livre un roman palpitant, à la fois léger et réfléchi.


Une petite perle en somme, d’un auteur italien qui réussit avec beaucoup de talent à nous plonger dans un univers anglais monté de toute pièce et rehaussé de cette pointe de séduction, de glamour, qui peut-être nous vient justement d’Italie...


À lire aussi, avec plein d'autres, sur : https://www.demain-les-gobelins.com/article/mr-gwyn

GobelinDuMatin
8
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le 22 nov. 2017

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