Ici on ne parle pas d'obscur, d'abîmes dans lesquels on sombre. Ici tout se passe au soleil, dans des parcs, dans un Londres aristocratique des années 20 au fil d'une journée de juin. Nous ne nous confrontons pas à une nuit interminable mais à une réalité simple, calme et fatale et c'est une agonie plus anxiogène et insolvable que la plupart des drames.
Ce que je veux dire c'est qu'on suit, un à un, une demi douzaine de personnages errant dans la capitale anglaise à travers leurs pensées, vraiment 80% du récit se déroule dans la tête des protagonistes. Les interactions sont teintées de fausseté et de vices, on découvre leurs faiblesses, leurs peurs, leurs failles orgueilleuses. Ils se jugent, se mentent, se jalousent, manipulent, chacun joue un rôle dans lequel il étouffe, chacun regarde son voisin en se demandant pourquoi il n'aurait pas également droit au bonheur ou alors se rassure en se jugeant supérieur à l'autre, à la poursuite d'un idéal qu'ils ne s'octroieront jamais.
/!\ C'est pour ça que je ne recommande pas ce bouquin à quelqu'un qui a des doutes sur l'existence de la bienveillance humaine -j'ai du faire des pauses dans la lecture et regarder un Miyazaki pour continuer-
Ce qui m'a surpris aussi, c'est le contraste omniprésent dans ce livre entre un lexique descriptif très apaisant et la lourdeur des sentiments des personnages. Plusieurs fois Virginia Woolf décrit un courant d'air dans un tissu, de l'eau qui ruisselle ou des cheveux au vent pour ensuite nous ramener à l'introspection pesante d'un des personnages, à leur solitude malgré leurs interactions mondaines, à leur humanité inhumaine puis au final si humaine.
"Ne crains plus la chaleur du soleil
Ni les colères du furieux hiver"
Il s'agit d'une citation de Shakespeare qui revient deux fois dans le récit, dont une fois murmurée par Clarissa elle-même comme une promesse qui aide les personnages à tenir dans leur existence si conventionnée.
Comme si le bonheur et la sérénité étaient très proches mais pourtant inaccessibles.
On raconte ici une journée dans Londres, à travers la vision d'une classe aisée mais tourmentée, et sa finalité sera la réception qu'organise Clarissa Dalloway. Ce sont les faits si l'on néglige l'aspect stylistique, ce qui serait une erreur car c'est là que réside tout l'intérêt; j'ai vu le génie dans des subtilités linguistiques, des champs lexicaux, des jeux chronologiques et des joutes de pensées entre protagonistes. Virginia Woolf nous fait visiter Londres, exige de nous un exercice d'empathie et nous balade de cerveau en cerveau afin de dresser un paysage fascinant d'une aristocratie désœuvrée.
Je ne relirais pas ce bouquin prochainement pour une seule raison qui en vaut deux ; Mrs. Dalloway est bouleversant.