Chochana, Semhar et Dima sont trois femmes d'origines, de religions et de conditions sociales différentes. Ce qui les relit, c’est leur désir impérieux d'un avenir meilleur et la certitude qu'il n'y a plus rien de bon pour elle dans leur propre pays. Elles fuient la guerre, la sécheresse ou la dictature et prennent des risques énormes pour elles-même mais aussi pour les leurs. L'auteur s'inspire d'une tragédie survenue en 2014. Il s'agissait d'un bateau de clandestins en perdition sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte. Lors du sauvetage les secours se sont aperçus qu'une violente altercation durant la traversée avait causée de nombreux morts parmi les passagers. C'est à bord de ce bateau que les héroïnes de Louis-Philippe Dalembert prendrons place mais, avant cela, elles ont bien d'autres périples à franchir.


Les trois femmes sont racontés avec empathie et sans jugement. Par leur différences, elles illustrent le panel tellement large des situations et des vécus parmi les candidats au départ. La route de l'Europe est dure mais encore plus pour les femmes. En les rencontrant un peu avant leur décision de partir, on comprend les extrémités qui les poussent à se lancer dans un projet aussi hasardeux et dangereux. On est renvoyé à nos propres choix et la question de ce qu'on aurait fait à leur place se pose forcement. C’est ce qui nous les rend si proches, si humaines.


Chochana et Semhar passent par la Libye et découvre l'horreur des réseaux de passeurs. Ici, c'est littéralement un système de trafic d'être humain et elle doivent endurer les pires sévices. L'auteur suggérer le plus souvent les horreurs qu'elles vivent et se garde de les décrire. On comprend cependant l'innommable et la lecture est éprouvante. Les deux femmes sont animées par une pulsion de vie telle que l'humour parfois survient et donne de l'air. L'amitié aussi est leur bouée et, alors qu'elle perdent tant de proches sur le chemin, elle s'ancre à ce sentiment tellement humain pour résister. Elles ont aussi leur foi, leur dieu auquel elles vouent une confiance sans faille. Dans ces cas là la religion doit être d'une grand secours et l'auteur traite des trois religions avec le même soucis du détails et la même force.



Affronter vents et marées, forêts, déserts et catastrophes divers. Tout ça pour atterrir dans ce foutu pays qu’elles n’avaient pas choisi. Dans ce bagne qui ne disait pas son nom, où elles étaient gardées en otage. Soumises à toutes sortes de travaux forcés. Complices, malgré elles, du rançonnement des proches restés derrière. Dans l’attente d’une traversée qui dépendait de l’humeur des passeurs.



Le personnage de Dima est plus surprenant. Femme bourgeoise d'Alep pleine de préjugée raciaux, elle vit très mal la proximité de ces femmes venues de l'Afrique entière. Renoncer à ses opinions, même discutables, c'est dans son cas perdre une part de ce qu'elle est alors qu'elle a déjà presque tout perdu. Elle nous rappelle aussi que se sont des êtres humains avec leurs grandeurs et leurs bassesses. Très vite on comprend ses réactions, ses angoisses et ses lâchetés. Elle est touchante pour ses failles.


J'ai été profondément marquée par l'incroyable force et la détermination des héroïnes. Ce sont elles qui décident du départ et entrainent à leur suite d'autres personnes. Néanmoins, je suis sortie de ce livre avec un profond sentiment d'impuissance. Que faire face à une réalité qui nous révolte ? C'est un drame presque quotidien si proche de nous sur lequel nous avons si peu de possibilités d'agir. Alors il y a ce livre comme un cri que nous lancerait toutes les Chochana, Semhar et Dinar sur les routes de l'exil. Il y a ce livre qui met des visages, des vécus sur des données statistiques ou des dépêches AFP. L'auteur remet l'humain au cœur de cette histoire et en fait un grand livre.



Le sort de ceux que les Européens appelaient migrants ou réfugiés faisait du bruit depuis quelque temps. Au fond, qui s'en inquiétait vraiment, à part des ONG dont c'était le fonds de commerce ?



J'ai envie aussi de remercier la librairie La fleur qui pousse à l’intérieur pour ce merveilleux moment organisé en compagnie de l'auteur il y a une semaine. Louis-Philippe Dalembert est un homme passionnant et touchant que j'ai eu plaisir à écouter. Son écriture ma séduite et me donne envie de leur lire d'autres de ces ouvrages. J’espère que je vous ai donné envie de découvrir ce livre car il mérite beaucoup d’audience !

Anaïs_Alexandre
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le 4 janv. 2020

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