En 2011 sortait sur nos écrans « La piel que habito » du célèbre réalisateur espagnol Pédro Almodovar. Ce film noir est directement inspiré du roman « Mygale » d'un autre européen, Thierry Jonquet. L'occasion pour nous de lire cette histoire de patience, de vengeance, de haine et de mauvaises rencontres.
Mauvaises rencontres : comme celle du papillon englué accidentellement dans la toile de l'araignée, qui patiente en attendant le « festin futur ».
« Mygale », c'est la succession de rencontres malheureuses, de piqures mortelles et venimeuses. La patience de l'araignée guetteuse est sa force de chasse.
Richard Lafargue est chirurgien plastique. Homme nanti, il alterne entre l'hôpital où il travaille, sa clinique privée et sa luxueuse villa du Vésinet. On ne lui connaît pas de nouvelle épouse, mais depuis la mort de sa femme, et la maladie psychique de sa fille qui vie recluse en Normandie, il vit avec Ève, une jeune femme qui semble en tout point parfaite....mais l'écriture, piquante comme le venin, précise directement le ton de la relation : le mépris, les insultes, la distance....et Ève qui dort dans un appartement privé....sous verrous.
Thierry Jonquet place directement leur relation d'une violence extrême sous le signe pourtant de la retenue : peu d'échanges de brutalité ou de coups, le mépris pousse pourtant Richard à prostituer Ève, et à se repaître de sa déchéance. Quelle crime expie t-elle ?
Alex et Vincent sont des petits voyous de campagne. Alex, plus porté sur l'action que la réflexion, tente un braquage risqué en solo suite à la disparition soudaine de Vincent.
Richard, Vincent, Alex, Ève se retrouvent sur l'échiquier de la mygale. Leurs destins sont croisés sans qu'ils ne comprennent réellement comment ni à quel point.
Thierry Jonquet alterne avec efficacité les styles et les narrations au grès de ses personnages et de leur réminiscences, entraînant en quelques pages le lecteur dans le labyrinthe de la toile infernale du piège tissé.
On comprend que Pedro Almodovar se soit épris de ce récit noir, ses thèmes de prédilection sont ici réunis : la fuite, le changement d'identité, la sexualité et la mutation.
Le livre se lit donc d'une traite, tant il entraîne le lecteur au fond du nid du prédateur. Prédateur que nous sommes tous, si tant est que l'on nous pousse aux confins de nos retranchements, quand pour survivre il ne nous reste plus d'autres choix que celui de changer, de muer, de s'adapter primitivement au milieu aussi hostile qu'il soit.
« Mygale » est l'histoire de cette transformation de l'homme dans un « autre » quand la situation, trop poisseuse et vénéneuse, l'y contraint.
Emma Breton