Qu’est-ce qui distingue, dans l’histoire du cinéma, un simple navet d’un nanar, qu’on définit communément comme un « mauvais film sympathique » ? Qu’est-ce qui confère à certains films objectivement ratés ce charme suranné, cet humour involontaire, voire ce pouvoir de fascination qui nous pousse à en garder une trace, loin dans les marges de la cinéphilie classique ? François Cau et son équipe de chroniqueurs passionnés, aussi érudits en la matière que maîtres en dérision, nous proposent, dans le premier tome de leur série d’ouvrages consacrés aux nanars, une sélection de cinquante films mal écrits, mal tournés, mal joués, mal montés, mal sonorisés et mal doublés. Classés en catégories thématiques, on y trouve autant des films d’épouvante que des films érotiques, de super-héros ou à prétention philosophique. Richement illustré de photos, d’affiches et d’autres images au mauvais goût prononcé, le livre se lit avant tout comme un recueil de critiques tantôt féroces et tantôt attendries mais toujours d’une drôlerie absolue. Les auteurs manient en effet l’ironie avec un talent consommé, hypnotisés qu’ils sont par ces films qui « redéfinissent à eux seuls la notion de n’importe quoi », ces « raccords niant farouchement toute continuité », ces « effets tout sauf spéciaux », ces acteurs hésitants vêtus de « frusques interdites par les conventions internationales » ou affublés de coiffures visant « la déstabilisation de tous les repères esthétiques et moraux ».
On n’en croit pas ses yeux devant les œuvres farfelues de ces « artisans jamais aussi enthousiastes que dans le débordement complet de ce que l’œil humain est censé tolérer » et on s’extasie devant ces films réalisés « sans aucune concession à ce que nous, humains, nommons la mise en scène ou le storytelling ». On y apprend tout sur la Bruceploitation (sous-genre né des succès commerciaux de Bruce Lee), sur les films de luchadors mexicains ou sur la toute dernière apparition de Bourvil dans un nanar porno. Quelques constantes reviennent, comme des passages obligés pour qui veut rater un long métrage : les doublages hasardeux, la manie du remake, le mépris total des copyrights et de toute notion de propriété intellectuelle, le goût pour les incrustations d’images mal bricolées et le recours abusif aux stockshots. « C’est sans doute là, écrit François Cau, que réside la sève d’un mauvais film sympathique : sa capacité à bousculer le regard hors de ses zones de confort pour l’emmener dans un ailleurs inédit. »