Issu d’une thèse de doctorat sur les contestations nationalistes qui accompagnent la transition libérale en Russie après la chute de l’URSS, le livre de Vera Nikolski nous initie aux formes les plus radicales du nationalisme russe, en se concentrant sur les parcours croisés d’Alexandre Douguine et d’Edouard Limonov. S’appuyant, en plus de ses lectures, sur de nombreux entretiens et témoignages de première main, l’auteur se propose d’« analyser le processus de conversion d’une partie importante de l’intelligentsia aux thèses anti-libérales ». Après une brève présentation des mouvements nationalistes au XIXème siècle (Centuries noires, courants slavophiles) et durant la période soviétique, elle se penche plus longuement sur la perestroïka, période de relative liberté d’expression qui profite à l’opposition nationaliste. Laquelle deviendra plus virulente encore durant les années Eltsine, critiquant à la fois l’occidentalisation du pays et l’explosion du capitalisme, rejointe dans cette lutte par un certain nombre de communistes déchus. « L’alliance entre les communistes et les nationalistes de tendance impériale-étatiste constitue sans conteste le centre de gravité de ce qu’on commence à appeler le camp national-patriote. » Le pouvoir est alors libéral et l’opposition nationaliste ; le schéma va s’inverser lors de la présidence Poutine.
Du Parti National-Bolchevique à l’Union Eurasiste de la Jeunesse en passant par la contre-culture underground, cette aventure militante est celle d’un dilemme – la prédominance de l’idéologie ou celle de l’action ? la bohème ou le lumpenprolétariat ? la résistance à l’Etat ou la coopération ? – lequel finira par séparer durablement Limonov et Douguine. « Alors que ce dernier change de position (en passant de l’opposition au soutien du pouvoir) en gardant l’essentiel de son argumentaire, Limonov garde la position de l’opposant radical, mais se voit contraint, par la structure du contexte discursif, de modifier son arsenal argumentatif. » Relevant (au risque de briser certaines idées toutes faites) que « le spectre de ce qu’il est possible de défendre en Russie en politique est bien plus large que tout ce qu’on peut voir en Occident », Nikolski consacre plusieurs pages intéressantes aux rapports des deux leaders à l’Europe, notamment en ce qui concerne les liens entre Douguine et la Nouvelle Droite française. Une somme foisonnante pour comprendre ce « nationalisme syncrétique » encore peu étudié dans l’espace francophone.