Naufrages
7.8
Naufrages

livre de Akira Yoshimura (1982)

On avait lu ce court roman d'Akira Yoshimura il y a un peu plus de quatre ans.
Ces Naufrages nous avaient laissé un fort souvenir, une trace indélébile. L'histoire était rude et puissante, l'envie d'y goûter à nouveau restait là.
À la relecture, ce petit conte philosophique a conservé toute sa force et l'écriture de Yoshimura gardé toute sa noblesse.
Le japonais nous fait partager la dure, très dure, vie des pêcheurs d'un petit village perdu le long de la côte.
Quelques habitants survivent là, isolés entre mer et montagne.
Lorsque la saison de pêche n'est guère fructueuse, les familles sont obligées de vendre un des leurs (fille aînée, femme, mari, ...) à quelque maquignon en échange de quelques sacs de pauvres céréales. Tous ne reviennent pas au village.

[...] Quand quelqu'un mourait au cours de sa période de travail, l'intermédiaire était obligé de dédommager l'employeur. C'est pourquoi il choisissait des gens en bonne santé et, considérant la perte que cela pouvait représenter, il prenait à l'employeur une somme plus importante que celle qui revenait à la famille. le village d'Isaku semblait constituer pour lui une bonne source de revenus quant à la qualité de ceux qui se vendaient pour travailler.

Alors au fil des siècles, les habitants du village ont pris coutume de se faire naufrageurs.
La récolte du sel (ils font bouillir de grandes bassines d'eau de mer) se fait désormais sur la plage : en cas de mauvais temps, ils escomptent bien que quelques bateaux apercevront les feux ainsi allumés sur la grève ...

[...] - Tu sais pourquoi on cuit le sel sur la plage ?
L'œil de Kichizo était tourné vers lui.
Isaku savait que la quantité de sel récoltée, nécessaire à la consommation du village pendant un an, était répartie équitablement entre les familles. Il pensa que si Kichizo lui posait cette question, c'était pour savoir s'il connaissait l'autre raison.
- C'est pour faire venir les bateaux, n'est-ce pas ? répondit-il en le regardant.

Après la saison de la pêche, vient la saison des tempêtes et si les vents ne leur sont pas "favorables", ils devront bientôt vendre la fille aînée, enfin la plus âgée qu'il leur reste, en échange de quelques sacs de riz ...
Ainsi dans le village du jeune Isaku dont le père est parti il y a près de trois ans se vendre sur quelque chantier, il faut savoir traverser plusieurs années sans naufrage "providentiel".
Mais lors d'un hiver enfin plus propice que les autres, c'est la fête !

[...] Des petits bateaux avaient quitté la plage et se dirigeaient vers le navire échoué sur les rochers. [...] Les petites embarcations progressaient, et bientôt elles vinrent entourer le navire naufragé. On aurait dit des fourmis à l'assaut d'un scarabée.

Malheur ensuite aux rares marins survivants ...

[...] Les maquereaux ne s'étaient pas vendus, la pêche au poulpe n'avait pas beaucoup donné, et ils n'avaient pas ramassé de grandes quantités de coquillages, aussi l'arrivée providentielle du bateau mettrait-elle les villageois à l'abri du besoin pour deux ou trois ans peut-être. Ils allaient pouvoir vivre quelques temps tranquilles, et personne ne serait obligé de se vendre.

La vie des habitants du village du jeune Isaku est assurément l'une des plus dures qui soient. Mais ce qui les attend à la fin du conte sera plus sévère encore.
L'écriture d'Akira Yoshimura est sobre et sèche comme il convient à cette cruelle histoire. Au fil des saisons, il fouille sans relâche, jusqu'au cœur de ces hommes.
Cet auteur maîtrise une rare puissance d'évocation : tout au long de ces quelques pages on reste collé au rivage, les pieds dans le sable aux côtés d'Isaku et de ses compatriotes.
Une très très belle occasion de découvrir la littérature japonaise.
BMR
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Livres et Les meilleurs romans venus d'Asie

Créée

le 22 mars 2014

Critique lue 380 fois

2 j'aime

BMR

Écrit par

Critique lue 380 fois

2

D'autres avis sur Naufrages

Naufrages
Karaziel
9

Les sinistres bénédictions…

Isaku, jeune garçon de 9 ans subsistant dans un hameau cloitré entre mer et montagne, aura la pénible responsabilité de faire vivre sa famille pendant que son père part se louer à un village éloigné...

le 27 juil. 2014

10 j'aime

Naufrages
baci
9

Critique de Naufrages par baci

Ce roman est d'une douceur absolue, le rythme de la vie d'Isaku est très lent puisqu'il n'a qu'une activité : la pêche sur sa petite barque. On pourrait croire que suivre les saisons et les journées...

Par

le 13 mars 2011

5 j'aime

Naufrages
Julien_Le_Minous
8

Vivre Manger Mourir

Il n’y a pas de commencement à cette histoire, et pour vous le prouver, cette histoire commence par l’enterrement d’un mort. C’est un village isolé du monde, quelque part sur les côtes japonaises, où...

le 4 déc. 2015

3 j'aime

Du même critique

A War
BMR
8

Quelque chose de pourri dans notre royaume du Danemark.

Encore un film de guerre en Afghanistan ? Bof ... Oui, mais c'est un film danois. Ah ? Oui, un film de Tobias Lindholm. Attends, ça me dit quelque chose ... Ah purée, c'est celui de Hijacking ...

Par

le 5 juin 2016

10 j'aime

2

The Two Faces of January
BMR
4

La femme ou la valise ?

Premier film de Hossein Amini, le scénariste de Drive, The two faces of January, est un polar un peu mollasson qui veut reproduire le charme, le ton, les ambiances, les couleurs, des films noirs...

Par

le 23 juin 2014

10 j'aime

Les bottes suédoises
BMR
6

[...] Je ne suis pas hypocondriaque, mais je préfère être tranquille.

C'est évidemment avec un petit pincement au cœur que l'on ouvre le paquet contenant Les bottes suédoises, dernier roman du regretté Henning Mankell disparu fin 2015. C'est par fidélité au suédois et...

Par

le 10 oct. 2016

9 j'aime

1