Les sinistres bénédictions…
Isaku, jeune garçon de 9 ans subsistant dans un hameau cloitré entre mer et montagne, aura la pénible responsabilité de faire vivre sa famille pendant que son père part se louer à un village éloigné pour 3 ans. Ses nouvelles responsabilités vont l’amener à découvrir et participer à une coutume particulière permettant au village de traverser les saisons en pérennisant la survie de ces habitants…
Naufrages de Akira Yoshimura est un roman basé sur une légende japonaise assez cruelle, il faut bien l’avouer. Comme le titre du livre le sous-entend, ces habitants, d’un passé primitif, survivent grâce aux pertes des navires qui se heurtent contre les écueils parsemant la baie côtière proche de leur village. Ces bateaux et leurs précieuses cargaisons sont une aubaine inestimable pour ces pauvres villageois dont la rudesse de la vie n’a d’égale que l’austérité isolante de la nature qui les tenailles. L’aspect cruel provenant de l’acte ”cérémoniel” des villageois qui incite ces bateaux à se précipiter vers leur néfaste rivage. En effet, en périodes d’hivers, la mer démontée peut vite mettre en péril un navire de commerce chargé à outrance ; les habitants de ce petit hameau, profitant de ce phénomène, allument un feu toutes les nuits sur la plage, sous couvert de sécher le sel, espérant ainsi attirer malignement ces malheureux vers leurs récifs ; la coutume est née ainsi et se perpétue de génération en génération, apportant espoir, joie et bonheur au petit village sans nom.
Akira Yoshimura nous décrit avec une précision poétique l’enchainement des saisons associé au quotidien rudimentaire et épuisant de Isaku qui apprend à pécher avec difficulté et souffrance pour nourrir sa famille sous le regard implacable de sa mère. Les années s’écoulent et l’on est happé par ces mots qui distillent cette existence laborieuse et sombre, la famine guettant à l’orée des bois, mais dont l’espoir est gravé sur ces regards fixant le littoral nocturne desquels la joie étincellera subitement lorsque le destin leur octroiera ce malheur providentiel gisant sur le rivage… Or, c’est là toute la ”perversité” de ce roman, ce village de pêcheur ne respire qu’au rythme des méfaits maritime, et malgré tout, on espère avec eux patiemment et l’on vibre avec eux lorsque cela arrive finalement… Mais, n’allez pas croire que le roman se résume à attendre les naufrages et puis inscrire le mot FIN en bout de page. Akira Yoshimura va nous dévoiler des existences mouvementées avec bien plus de sacrifices et de douleurs ainsi que de générosités et de courages, mais pour cela il vous faudra prendre le livre entre vos mains et tourner vous aussi les pages afin de respirer l’air appauvri de ce village sans nom ; un bonheur n’arrive jamais sans compromis…
J’ai eu un plaisir apaisant à lire Naufrages, alors même que son sujet semble immoral et austère, mais il nous remet justement en question : jusqu’où est-on prêt à aller ou accepter pour survivre et perpétuer notre lignée et notre communauté ? D’un malheur, un désastre, n’y a-t-il pas une parcelle de lumière qui s’en échappe créant le bonheur et la vie pour d’autres, et inversement ? Le monde n’est il pas teinté d’un gris, bien sombre je vous l’accorde, mais amalgame indiscernable de blanc et noir jaillissant l’un de l’autre ? Akira Yoshimura nous montre la dureté de la vie au sein de l’implacable loi de la nature sans porter aucun jugement tout le long de son récit, prenant juste le temps de décrire et d’exposer cet état de fait ainsi que les actes et conséquences qu’il peut générer… À vous, lors de votre lecture, de porter un jugement sur la manière de vivre de ces villageois… si cela est possible évidemment !