Une belle et salubre méditation

Ne t'arrête pas de courir, Mathieu Palain, Ed. L'Iconoclaste

Certes, voici un livre de journaliste et je m'abstiens généralement de chroniquer autre chose que des romans. Mais le propos, le ton, l'art du récit sont tels qu'il faudrait mettre ce livre entre toutes les mains.

Mathieu Palain, que je ne connaissais pas, est journaliste free-lance et écrivain. Il fait une petite fixette sur les délinquants et les prisons. Pourquoi pas ?

Il nous raconte ici sa rencontre, et beaucoup plus que cela, avec Toumany Coulibaly, un sportif de haut niveau, un athlète hors normes, le champion français du 400 mètres en 2015. Mais champion le jour, voyou la nuit. Cinquième d'une famille de dix-huit enfants, il vole, compulsivement, dans les magasins, démolit les guichets automatiques de banque, plus rarement, mais cela advient, arrache des portables des mains des passants, et cambriole à l'occasion. Condamné à de multiples reprises, il passe des années en prison. Rien ne l'arrête, et la soirée même de son titre de champion de France, « il rentre chez lui, pose sa médaille d'or sur la table de la cuisine, attrape une cagoule et rejoint quatre complices pour cambrioler une boutique de téléphones portables ».

L'auteur lui écrit quand il est en détention pour lui demander s'il accepterait de le voir. Coulibaly met un an à lui répondre, puis les deux hommes vont se rencontrer tous les mercredis au parloir durant deux ans.

C'est cette relation entre les deux qui constitue la trame du livre, avec ses mystères. Et ces mystères sont le beau du livre. Mystère Coulibaly d'abord. Pourquoi ? Pourquoi voler ? Et ne pas pouvoir s'arrêter malgré les satisfactions que lui procurent sa carrière et la confiance de ses entraîneurs qui savent que c'est un surdoué. Pourquoi lui, alors que tous ses frères et sœurs, parfaitement intégrés, ont un boulot et une vie normale ?

Mais mystère de l'auteur, également. Pourquoi cette empathie, cette fascination et même ce mimétisme à l'égard de son sujet ? Non que Mathieu Palain se mette à voler, mais il se met à courir -comme Coulibaly le fait dans les cours de promenade de ses lieux de détention successifs pour maintenir son niveau et espérer reprendre à la sortie, si la Fédération le veut bien. Rien n'est moins sûr, mais cela n'est pas tout à fait exclu.

Les deux se voient, s'écrivent, se confient l'un à l'autre, et le lecteur jauge cette relation en train de se nouer, de prendre de la consistance, de la densité, une densité presque amoureuse, faite de confiance, de retournements, de frustrations et de tant de choses que l'on ne pèse pas forcément quand on devient, pourtant si différents, familiers l'un à l'autre.

Au-delà de cet échange entre les deux hommes, ce livre est une réflexion puissante sur la prison, la délinquance et la récidive. Et une belle médiation sur le journalisme, quand l'humanité de l'échange déborde, submerge, estompe les frontières entre l'auteur et son sujet. Toumany Coulibaly est sorti de prison le 16 février 2021 au matin. On imagine que Mathieu Palain est intranquille. Mais on en envie de lui dire « N'arrêtez pas d'écrire ».