NÉANDERTAL, un "Parent" qui a laissé des traces…

C’est dans la vallée ("thal" en allemand) du Neander que l’on découvre, en 1856, un nouveau fossile d’un humanoïde très ancien, différent.

Le XIXe siècle qui voit la naissance de l’industrie et de la bourgeoisie reste embourbé dans des diktats religieux et culturels qui paralyse le raisonnement scientifique. Pour s’en convaincre il suffit de voir la place réservée à la femme dans cette société dite "moderne" :

https://www.senscritique.com/livre/l_homme_prehistorique_est_aussi_une_femme/critique/233402317

Aussi quand Hermann Schaaffhausen, maintiendra qu’il s’agit d’une race d’humains très ancienne, il provoquera scepticisme, polémiques et même sarcasmes de la part de ses pairs. En effet, ce qui prévaut, depuis des millénaires « C’est l’idée d’une chaîne ordonnée qui réunit minéraux, végétaux, animaux, et pour finir par les êtres humains. Toutes ces parties du vivant sont reliées, mais sans transformation possible. Plus on monte dans cette chaîne, et plus les êtres vivants progressent en perfection. Au sommet de cette chaîne hiérarchisée et immuable, où chacun reste bien sagement à sa place, que trouve-t-on ? L’être humain, bien sûr, merveille de la nature, créé par Dieu à son image. »

L’hypothèse d’une autre branche « humaine » est une aberration absolue parce qu’incompatible avec la perfection divine et les Saintes Écritures !...

Alors qu’est-ce que c’est ? Un homme difforme, malade et blessé… Un cosaque un peu bizarre, vestige des guerres napoléoniennes… Et puis quoi, encore ? La bêtise ne reculant devant aucune limite, on va même expliquer la forme massive des arcades sourcilières – qui frappe tous les observateurs – par un froncement des sourcils prononcé et quasi-permanent (?!...). Ça me rappelle une citation en provenance du livre précédant (Dans la maison de mon Père) que je suis trop heureux de pouvoir glisser ici : « La bêtise a ses ruses, sinon elle aurait depuis longtemps disparu. »

Mais revenons aux choses sérieuses et laissons la parole au auteurs du livre, Silvana Condemi en collaboration avec Jean-François Mondot (normalien, ancien professeur d’histoire-géographie, rédacteur permanent aux Cahiers de Science et Vie).

Silvana Condemi est paléoanthropologue directrice de recherche au CNRS. Elle obtient en 1985 un doctorat de troisième cycle en géologie du Quaternaire (option paléoanthropologie) à l’université de Bordeaux I et soutient une thèse sur Les Hommes fossiles de Saccopastore (Italie) et leurs relations phylogénétiques. Habilitée à mener des recherches en anthropologie depuis 1998, elle est responsable de la thématique paléo-anthropologie à l'université d'Aix-Marseille. Elle a notamment travaillé sur la question de l'hybridation des Néandertaliens et des premiers Hommes modernes.

Néandertal, un gros gourmand ?

À l’époque de sa splendeur (de -400 000 à -40 000), par moment, il fait plutôt frisquet en France, et avec la vie qu’il mène – pas vraiment "Métro-Boulot-Dodo" – monsieur Néandertal s’offre, au McDo du coin, des repas de 5 à 6000 kilocalories quotidiennes (1500 suffisent, aujourd’hui). Il apprécie une belle entrecôte, mais il est friand de moelle, et ne néglige certainement pas les abats, le cerveau, la langue ou les globes oculaires. Bref, il ne laisse pas grand-chose dans son assiette… On y a même retrouvé des fragments de végétaux fossilisés. Non seulement Néandertal consommait des végétaux, mais il les consommait cuits. Et il se pourrait même qu’il consommât ses voisins de table… mais, ceux-ci auraient pu l’être pour des raisons de survie, en période de disette…

« Nous savons, en ce qui concerne Homo sapiens, que le cannibalisme endogamique, c’est-à-dire pratiqué sur des membres du clan, obéit à une logique rituelle : permettre au mort de survivre dans le corps de ses proches, tandis que le cannibalisme exogamique répondrait à une finalité alimentaire. »

Néandertal ressemble à quoi ?

Au XIXe siècle, on décrivait Néandertal comme un Africain ou un Aborigène à la peau sombre. Les études génétiques récentes ont totalement modifié ce cliché. Ils ont conclu qu’il avait la peau claire avec des couleurs de cheveux variées, du châtain au roux, en passant par le blond vénitien, tout ce que l’on retrouve chez les habitants actuels du Pays de Galles ou des pays scandinaves.

Un Suédois dans la vallée de Neander !

Néandertal, artisan ou bricoleur ?

Un bon exemple de la complexité de la taille des silex, le débitage Levallois, qui n’a pas été inventé par les Néandertaliens, mais dans lequel ils excellaient. C’est une manière de façonner la pierre et de lui arracher de grands éclats tranchants et effilés qui serviront ensuite d’outils ou de couteaux.

Il est prouvé que Néandertal, artisan doué pour le travail de la pierre, pouvait transposer son savoir-faire à d’autres matériaux comme l’os et le bois. À l’instar de ce lissoir en os de cerf, découvert en Dordogne. L’âge de cet outil est estimé entre –53 000 et –41 000 ans, c’est-à-dire possiblement avant l’arrivée d’Homo sapiens.

Ou de cet épieu enfoncé dans la cage thoracique du squelette d’un éléphant (de Basse-Saxe), âgé d’environ 125 000 ans, qui avait été taillé dans du bois d’if, connu pour sa dureté, et mesurait 2,4 mètres de long et dont la pointe avait été durcie à la flamme.

Ou encore, la découverte d’un minuscule résidu de cordage (en fibres végétales) resté piégé dans une lame en pierre et remontant à –50 000 ans.

Néandertal, Maître du feu ?

TSS, TSS, TSS ! On ne joue pas avec le feu comme ça !

Bien avant Néandertal, on retrouve sa présence vers –800 000 ans en Israël. Mais il n’est pas maîtrisé, tout juste apprivoisé. En Europe, il faut attendre 400 000 ans pour franchir une étape, ici, on est passé du feu apprivoisé au feu maîtrisé, voire domestiqué. Dès cette époque on commence à repérer de véritables foyers. Vers –200 000, une nouvelle étape est franchie comme ces éclats de silex accrochés à une tige grâce à du brai de bouleau.

Néandertal, un grand bavard ?

Va savoir Charles ! « Grâce à tous les travaux réalisés, on peut affirmer avec certitude que les conditions pour un langage articulé étaient réunies chez Néandertal. » Mais cette communication prenait-elle la forme d’un langage articulé comme le nôtre ? « Dans l’état actuel de nos connaissances, les indices que nous récoltons ne nous permettent pas de dire que les capacités langagières de Néandertal seraient inférieures à celles d’Homo sapiens. »

Néandertal, un artiste coquet ?

Grands amateurs "d’arme à feu" avant l’heure, il semble qu’ils aient été fascinés par ces « balles de fusil » que représentent les rostres de bélemnites fossilisés. Probablement utilisés en parures, comme ces coquilles fossilisées d’escargots de mer teints en rouge, âgés d’environ -45 000 ans.

Et que dire de cette propension à chasser corbeaux, vautours et autres pies… où on retrouve des traces de découpe et d’interventions humaines sur les os alaires (porteurs des plus belles plumes) estimées à –44 000 ans. Quelle était l’utilisation de ces plumes, parures ? Symboles ? Distinctions ?...

Même question pour ce "bijou croate" datés de -120 000 ans, composé de huit serres de rapace (un Pygargue) constituant probablement un collier impressionnant, à une date où Homo sapiens n’était pas présent en Europe.

Quant à l’« installation » de Bruniquel (Tarn-et-Garonne), elle laisse pantois tous les Allan Kaprow et autres Marina Abramović de la création, en concevant, 176 500 ans avant eux – et 140 000 ans avant les fresques de Chauvet –, une performance particulière à 300 m sous terre dans « une grande salle de 35 mètres de long et de 25 mètres de large, avec une hauteur de plafond pouvant aller jusqu’à 7 mètres […] on aperçoit des centaines de stalagmites. Elles ont été fragmentées, cassées, organisées, comme un jeu de lego géant. Engluées dans de la calcite blanche, elles dessinent des « structures ». Les deux plus grandes sont de forme circulaire (6,70 sur 4,50 mètres pour l’une, 2,20 sur 2,10 mètres pour l’autre) », soit plus de deux tonnes de matériaux !

Attendez, réfléchissons à ce que cela révèle de la part de ces humains supposés « primitifs et bestiaux » : qu’ils étaient capables de maîtriser l’éclairage et le feu. Cela implique des lampes mobiles, une coordination entre ceux qui éclairent et ceux qui construisent, etc.

Néandertal, un fossoyeur respectueux ?

Trouver des traces de pratique mortuaires, de rituel, c’est mettre en évidence un imaginaire collectif justifiant le respect et l’attention envers un défunt, voire les premiers signes de spiritualité. On ne retrouve quasiment pas de sépulture néandertalienne antérieure à -50 000 ans, Néandertal a-t-il été influencé par Homo sapiens dans ses pratiques funéraires ? Bien que des différences de pratiques apparaissent il est, aujourd’hui, impossible de trancher définitivement.

Néandertal, un grand amoureux ?

La littérature et le cinéma ont donné libre cours à l’imagination des auteurs laquelle relève de la plus pure spéculation sans aucun fondement scientifique. Tout juste a-t-on supposé que la faible différence de taille et de stature entre les hommes et les femmes néandertaliennes, exclurait une organisation reposant sur un mâle alpha à la tête d’un harem.

Néandertalienne, un homme comme les autres ?

Pure spéculation, là aussi. « Selon l’agronome-ethnologue François Sigaut, le développement d’activités outillées aurait conduit à cette répartition des tâches. » La manipulation d’outils – ou d’armes – pourrait impliquer la division sexuelle du travail. Mais ne sous-estimons pas le rôle des néandertaliennes : « Sur le terrain, en effet, les fouilles démentent l’idée de femmes rivées aux soins et à la nourriture des enfants. Leur robustesse corporelle indique un niveau d’activité comparable à celui des hommes. »

Néandertal disparait, pourquoi ?

Il y a environ 40 000 ans, Homo sapiens arrive en Europe, Néandertal disparait, avec une coexistence d’environ 3 000 à 5 000 ans. Pourquoi ?

Un génocide perpétré par Homo sapiens ? Non ! Pas sur une aussi longue période.

Une pandémie ? Homo sapiens, originaire d’Afrique, était certainement porteur de maladies tropicales contre lesquelles Néandertal n’était pas immunisé. Hypothèse peu probable du fait du caractère très fragmenté de la société néandertalienne répartie en petits groupes d’une trentaine de personnes, isolés les uns des autres. En outre une épidémie foudroyante n’aurait pas duré plusieurs milliers d’années.

La consanguinité ? Les analyse ADN ressentes ont montré, en effet, dans des groupes néandertaliens, des liens de parenté du premier degré (incestueux) ou du second degré (demi-frère/demi-sœur, oncle-nièce…) pourtant si les hommes ont tendance à rester dans le clan, les femmes peuvent provenir de clans voisins. Mais les paléo-démographes estiment que la population totale des Néandertaliens n’a jamais dépassé 70 000 personnes, et ce sur un territoire considérable, de l’Atlantique à la Sibérie ce qui implique des densités très faibles, répartis en petits groupes très dispersés d’une trentaine d’individus. « À certains moments, la population aurait même pu, selon certains anthropologues, descendre bien plus bas, jusqu’à 10 000 personnes, ce qui expliquerait aussi la faible diversité génétique constatée. »

On retrouve cette hypothèse de consanguinité dans le livre de Nicolas Teyssandier « Nos premières fois »,

https://www.senscritique.com/livre/Nos_premieres_fois/39723709

Où il est expliqué que, pour leurs outils, les Néandertaliens exploitent très majoritairement l’environnement minéral immédiat ou proche qu’ils occupent. Alors que les Homo sapiens, beaucoup plus exigeants, revendiquent des matériaux de bonne qualité que l’on ne trouve que sur certains gisements nécessitant des déplacements pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres ce qui les oblige à des expéditions où ils ne faisaient pas qu’échanger des pierres ou des coquillages, à l’occasion des contacts avec d’autres groupes, "ils avaient, avant l’heure, inventé les sites de rencontres et le mélange des gènes qui va avec !"

Néandertal a-t-il vraiment disparu ?

Disparu, Néandertal ? C’est sans compter avec Svante Pääbo un biologiste suédois (prix Nobel de physiologie 2022 « pour ses découvertes sur les génomes d'espèces humaines éteintes et l'évolution humaine ») qui n’a qu’une idée en tête : comparer l’ADN de Néandertal avec celui de l’être humain actuel. Les résultats, publiés dans Science en mai 2010, font l’effet d’une bombe : 1 à 3 % d’ADN néandertalien se retrouvent sur le génome de Sapiens en Europe et en Asie, mais pas chez les Sapiens africains analysés.

« Compte tenu de l’actuelle population mondiale estimée à 8 milliards d’individus, il n’y a jamais eu autant d’ADN néandertalien sur Terre ! » Peter C. Kjærgaard (2023)

Première constatation : les deux espèces sont interfécondes… à une exception près : « autant les unions entre mâles sapiens et femmes néandertaliennes étaient compatibles […] autant les unions entre mâles néandertaliens et femmes sapiens pouvaient s’avérer problématiques. Cela a inévitablement eu des conséquences négatives sur le métissage entre Homo sapiens et Néandertaliens. » (Une histoire de chromosome Y néandertalien qui provoquerait des fausses couches ! Un peu délicates les femmes sapiens…)

Néandertal… et quoi d’autre ?

Si la nature a différencié Homo Sapiens et l’homme de Néandertal, pourquoi n’aurait-elle pas fait d’autres évolutions. Hein ? Parce qu’on n’a pas tout retrouvé ! Il y a encore des découvertes à faire…

Néanmoins, en 2008, dans la grotte de Denisova, au sein des montagnes de l’Altaï, en Sibérie, des archéologues mettent au jour un minuscule fragment d’os d’une phalange de petit doigt très ancienne (entre –51 000 et -76 000) dont les séquences ADN ne peuvent être reliées ni à Homo sapiens ni à Néandertal. C’est donc l’apparition d’un groupe humain que l’on ne connaissait pas du tout, et dont l’existence est révélée uniquement par la génétique. Et ce n’est pas tout : on découvre qu’un métissage s’est produit entre Néandertaliens et Denisoviens (Nous voilà devant une jeune fille dont le père était dénisovien et la mère néandertalienne – métisse au premier degré) !

Certains spécialistes n’excluent pas qu’il puisse y avoir d’autres groupes humains dont nous ne soupçonnons pas l’existence, nous avons bien découvert ces dernières années l’existence de l’Homme de Florès et l’Homme de Luzon, qui se sont maintenus très tardivement dans des îles éloignées du sud-est pacifique…

Alors, si vous êtes intéressés, il y a encore du travail à faire, des découvertes à réaliser, des briques à ajouter à l’édifice, des équipes qui demandent des bonnes volontés 😊 …

Philou33
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le 17 août 2024

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