Après avoir recommencé cette critique pour la douzième fois, je pense (enfin) réussir à poser des mots sur cette lecture.
Mon avis est marqué par une forme de déception : encore une fois, c'est (un peu) de ma faute, j'avais lu tellement de critiques extrêmement positives et grandiloquentes que j'avais des attentes démesurées.
Normal People a été un roman agréable à lire, dévoré en une soirée. L'écriture de Sally Rooney (ou du moins, ce que la traduction en donne comme image) est très agréable, assez fluide, et pas trop ampoulée. Certains choix stylistiques (notamment l'absence de tiret dans les dialogue ou la ponctuation minimale) me semblent relever d'une forme d'exercice de style, mais je me demande si ce n'est pas aussi la traduction qui empêche de donner à ces choix un véritable sens. Peut-être qu'en VO, cela fonctionne bien mieux.
C'est un roman sociopolitique qui interroge les rapports de classe et de genre, les dynamiques à l'œuvre dans les relations sociales et amoureuses. Il interroge également la difficulté de se conformer à des attentes que l'on se fixe ou que la société nous impose (insidieusement). Chaque choix dans le roman apparaît comme une forme de renoncement.
Les personnages sont complètement cabossés et usés par la vie. Connell est déchiré entre l'idéal poussé par la société et ce qu'il éprouve et ressent. Marianne, elle, est un personnage qui ne fait que souffrir (pourquoi autant de traumas pour un seul personnage ??) : elle doit gérer des traumas immenses qui lui font accepter des choses extrêmement toxiques et violentes, mais qu'elle estime mériter, étant donné qu'elle a grandi dans le pire des environnements. En un sens, Sally Rooney rejoint un peu l'esthétique naturaliste : nous sommes conditionnés par notre environnement, contre lequel il est dur de lutter et qui nous pousse à subir ou accepter des choses parfois intolérables.
C'est aussi un roman sur l'incapacité à communiquer. D'abord, l'incapacité à communiquer avec autrui. Soit parce que ce que ressent autrui est interprété à partir de quelques mots (et incroyable mais vrai, on se trompe super souvent !), soit parce qu'on refuse de se montrer vulnérable (car : la société !). Ensuite, l'incapacité à "communiquer avec soi-même" : difficulté à saisir ce qui nous hante (et c'est bien normal), difficulté à accepter nos sentiments et notre vulnérabilité. C'est, je trouve, ce qui résonne le plus avec certaines de nos préoccupations contemporaines.
Enfin, je dois avouer que le caractère hyper violent du roman (à cause des sujets abordés) m'a un peu anesthésiée. C'est un roman très brutal sur les rapports sociaux, tout est marqué par le sceau de la domination (de classe, de genre, et dans les rapports sexuels); domination imposée et vécue parfois comme une auto-punition (donc acceptée comme manière de se punir). C'était parfois trop pour moi.
Je vois et comprends l'intérêt de ce roman, mais malheureusement, il est un peu passé à côté de moi. Je pense qu'il m'aurait plus parlé il y a quelques années, j'aurais trouvé une forme de résonnance entre les souffrances des personnages et les miennes, entre mon impression de ne pas avoir de place spécifique, la nécessité de me "réinventer" et ce que vivent les personnages. Mais, peut-être parce que j'ai vieilli, ça n'a pas si bien marché, et je ressors de cette lecture en me sentant très cynique.