"Et il rendra si beau le visage des cieux / Que le monde entier s'éprendra de la nuit"...

... "Et n'adorera plus le soleil éclatant".

J'intitule cette critique d'après une citation de Shakespeare, et pas n'importe laquelle. Roméo et Juliette. Acte III, scène 2. De mémoire.

J'ai eu envie de lire Nos étoiles contraires avant même de savoir ce qu'il racontait, et pas non plus à cause de sa couverture, une fois n'est pas coutume. Deux amoureux, nés sous des étoiles contraires, les "star-crossed lovers", bien sûr, je ne pouvais penser qu'à Shakespeare. Je ne crois pas que c'était l'intention de l'auteur, qui pensait surement davantage à Jules César, toujours de ce cher Shakespeare. Mais en ce qui me concerne, impossible de penser à l'empereur romain plutôt qu'aux amants maudits. A la fin de ma lecture, la citation que j'ai utilisée pour le titre m'a confortée dans ce choix délibéré. Car, oui je spoile, attention, à la mort de son premier amour, la jeune héroïne n'y pense pas, mais moi, j'ai eu envie de déclamer ces vers où Juliette entrevoit déjà la mort de son amant. Entre parenthèses, j'écris cette critique au son de la pluie sur le toit de tôle, qui loin d'être apaisant, est d'une violence inouïe, à la hauteur de celle que j'ai ressentie en lisant ce livre.

John Green nous dépeint un personnage, et là je parle d'Augustus, qui voit la vie en métaphores. C'est pourquoi je me permets une (sur ?)interprétation : la métaphore du cancer. Oui, c'est le récit de l'histoire d'amour de deux enfants qui se savent condamnés, de deux enfants qui ne savent pas lequel laissera à l'autre la douleur de son absence en premier, comme "une grenade prête à exploser", pour reprendre en substance un des points du roman. Mais, métaphoriquement, qui ne s'est jamais senti rongé de l'intérieur, par une force obscure, pas forcément physique ? Hazel perd l'usage de ses poumons, Augustus une jambe, et Isaac ses yeux (si j'étais aveugle, je sais que me tuerais) ; qui ne s'est jamais senti comme si on lui avait enlevé une partie de lui-même, pas non plus visible physiquement, mais qu'il sentirait morte au fond de lui, et pourtant douloureuse comme un membre fantôme ? Ce roman n'est pas une histoire sur des jeunes cancéreux qui s'adresse à gens malades, à ceux qui ont connu la maladie d'un proche, etc. Elle est universelle.

Et ce qui m'a enfin frappée dans ce roman, c'est l'écriture. Elle n'est pas particulièrement exceptionnelle, mais il y a des phrases. Quelques phrases qui restent en suspend, dans l'air, pour revenir vous hanter un peu plus tard dans la lecture. Des phrases d'une beauté saisissante. J'en retiendrai deux particulièrement.
La première, une phrase prononcée par la mère de l'héroïne "Je ne serai plus jamais maman". J'ai eu le cœur brisé. C'est pour moi la plus belle phrase, la plus désespérée de tout le roman. John Green est parvenu à me faire ressentir la douleur de cette mère alors même que je ne le suis pas, que je ne le serai peut-être jamais. Il est parvenu à me faire sentir mère. Je vous ai dit que ce roman avait une portée universelle. La seconde phrase qui m'a vraiment marquée est d'Augustus. Il écrit "Mes pensées sont des étoiles qui ne veulent plus former de constellation". J'avais déjà pensé à Shakespeare bien avant ça, et cette phrase est une des dernières du roman. Je me suis dit que le personnage ne se rendait pas compte alors qu'il était lui-même la constellation, tout comme Roméo.

Et pour revenir aux métaphores, ces étoiles qui ne forment plus de constellation semblent aussi décrire ce que l'on ressent à la fin de la lecture de ce petit bijou : éparpillé comme une constellation éclatée, perdue dans l'immensité d'un univers qui n'a plus de sens, et qui reste insensible à notre douleur de ne plus être entier, de ne plus être un.

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le 23 déc. 2013

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