Les morts voyagent vite. Dans Notre part de nuit, de l'Argentine Mariana Enriquez, la phrase revient comme un mantra. Ce à quoi on pourrait ajouter que l'horreur est humaine, une fois lu ce roman dont le qualificatif qui lui sied le mieux est celui de monstrueux. Autant le dire d'emblée, voici un livre exceptionnel qui ne peut que laisser des traces durables et susciter des cauchemars, pas seulement nocturnes, pour le caractère graphique de certaines scènes atroces. Son aspect gothique est l'une des facettes d'un récit polymorphe où même durant les périodes d'accalmie, il y a toujours des menaces tapies tapies dans l'ombre et des comportements violents à redouter de la part des deux personnages principaux, un père et un fils, aux prises avec une organisation ténébreuse et maléfique. L'Obscurité est sans cesse présente dans Notre part de nuit, surtout aux pires moments de la dictature en Argentine avec son cortège macabre de disparitions et d’exécutions. Le livre s'empare avec maestria de nombreux genres, du thriller surnaturel au roman d'apprentissage, en passant par le récit historique ou même romantique. Au-delà de ses passages les plus terrifiants, de son intensité quasi permanente et de sa construction acrobatique, Notre part de nuit parle de filiation et de transmission avec une force tellurique et des moments choquants et inoubliables où amour, haine et violence se mêlent dans un déferlement paroxystique que l'on aurait du mal à qualifier de cathartique. De toute manière, le lecteur n'a pas le choix : dès l'entame du livre, il est lui aussi sous emprise, fasciné, accablé, halluciné, stupéfié... Surtout, que personne ne s'amuse désormais à fredonner "Retiens la nuit', il pourrait s'en repentir et finir avalé par les forces occultes de l'Obscurité.