La France est un curieux pays. On idole Poulidor. Éternel second. On se souvient de Fignon perdant le Tour de France 1989 pour huit petites secondes concédées lors de la dernière étape à l'Américain Greg LeMond.


On oublie qu'il en a gagné deux en 1983 et 1984. Le premier à seulement vingt-deux ans. Il est également le dernier Français à avoir remporté le tour d'Italie en 1989.


Laurent Fignon se racontait en 2009 soit un an avant sa mort. Il n'abordera jamais sa maladie. Peut-être ne s'était-elle pas encore déclarée à l'époque. De manière très linéaire, année après année, il détaille sa vie de coureur professionnel.


Ce qui frappe, c'est le décalage entre le cyclisme d'hier auquel il a participé et le cyclisme moderne dans lequel il ne se sentait pas à l'aise vers la fin de sa carrière.


Ce cyclisme d'hier, c'était l'insouciance dont parle le titre. Un cyclisme de coureurs. On courait pour attaquer car attaquer permettait de gagner. Fignon déplorait à partir du début des années 90 un cyclisme dominé par les sponsors et en dessous d'eux les directeurs sportifs. Plutôt que d'attaquer pour essayer de gagner au risque de tout perdre, désormais, les coureurs préfèrent privilégier un top 5 ou un top 10 car ça fait mieux sur une carte de visite. Ils se trompent. Personne ne se souvient jamais du sixième du Tour de France.


Et ça, Fignon pestait à l'antenne contre cette frilosité. Celui que les Italiens avaient surnommé "le Professeur" s'était reconverti, sitôt sa carrière terminée, dans l'organisation de courses puis comme co-commentateur du Tour de France entre 2006 et 2010. Et c'est vrai que devant une épreuve souvent d'un ennui mortel, surtout dans les étapes de plaine, ses analyses étaient un régal et manquent beaucoup aujourd'hui même si Jalabert ne démérite pas.


Du dopage, il en fera mention dans son livre mais de manière évasive. Oui, il avait vu et entendu des choses sans jamais s'en être réellement mêlé. Il sera contrôlé positif aux amphétamines mais, ce qui peut paraître sidérant, d'après lui, tout le monde le faisait. Il est catégorique sur deux points. Le dopage ne permettra jamais à un coureur moyen de se transformer en super-champion. Et c'est au début des années 90 avec le règne d'Indurain que l'EPO est apparu et que les choses ont commencé à se gâter. Ainsi, lors de son dernier Tour de France en 1993, voyant des coureurs lambdas se mettre à rouler à tombeau ouvert en tête du peloton l'a convaincu d'arrêter.


Fignon appartenait à un cyclisme d'un autre temps. Volontiers cassant avec les médias là où un Chris Froome déploie des trésors d'imagination pour paraître mignon et gentil. Il admet n'avoir jamais surveillé son alimentation et, au grand dam de son directeur sportif Cyrille Guimard, préféré sortir en boîte pour boire et draguer les filles plutôt que de se consacrer à un sommeil réparateur. Une hérésie aujourd'hui.


Je ne l'ai pas connu à l'époque où il courait et peut-être qu'il ne me serait pas apparu sympathique. Lui qui reçut en son temps le prix citron du coureur le plus antipathique et qui finissait par se brouiller avec la plupart de ses interlocuteurs. Mais avec le temps on oublie tout et par sa franchise, sa soif de vaincre, son look, il semblait attachant à sa manière. Sans une seconde partie de carrière gâchée par les blessures, il aurait même pu gagner plus de Tour de France.


En l'état, il reste un des coureurs les plus talentueux des années 80. On le reconnaîtra à sa juste valeur le jour où on lui aura trouvé un successeur. Thibaut Pinot n'ayant pas son mental, peut-être Romain Bardet qui sait...

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le 12 août 2017

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