Nous sommes cruels par RED-RUM
Adaptation moderne des Liaisons Dangereuses. J'ai souvent du mal avec les adaptations de chef d'oeuvre, surtout quand elles sont modernes. Mais celle-ci est intéressante. Le style est beaucoup plus concis et limpide que chez Laclos (changement de siècle oblige), les moyens plus modernes (échange de sms, même si cela reste rare, qui remplacent les billets du XVIII ème siècle), les lettres sont plus courtes...Mais le fond est toujours aussi profond.
Histoire d'hypocrisie, de manipulation, mensonges, sexe et amoralité au programme. Certaines lettres valent vraiment le détour. Je pense à la lettre de rupture de Camille à William (lettre 143), d'un cynisme et d'une cruauté dignes de la marquise de Merteuil. Je vous en offre la fin, histoire de vous mettre l'eau à la bouche: "Toi l'intouchable, celui qui m'ignorait poliment, soudain tu as voulu m'écrire des poèmes, ton corps s'est plié sur le mien en grognant de plaisir, tu m'as suppliée à genoux, tu es tombé, amoureux. William, aujourd'hui, je vais te quitter: Sache que si tu souffres, mon mépris sera ta seule récompense. Très cher lapin aux yeux bleux, on ne désire que ce qu'on n'a pas. J'ai eu trop de toi. On va y mettre un terme. La vie continue. A Dieu.". Pas mal non?
On retrouve des citations des Liaisons Dangereuses distillées de manière subtile, les personnages se réappropriant le langage de leurs modèles: "Il m'appelle perfide, et ce mot de perfide m'a toujours fait plaisir: c'est, après celui de cruelle, le plus doux à l'oreille d'une femme, et il est moins pénible à mériter" (propos de la marquise de Merteuil repris par Camille). La suite de cette citation: "Il me nomme peste aussi, c'est moins laclosien, mais passons". Cette citation illustre bien l'oeuvre. De constants rappels au texte de Laclos, des commentaires distillés de l'oeuvre, du langage, et une vraie réflexion sur les différences de langage, de comportement, entre l'époque de Laclos et l'époque moderne dans laquelle évoluent les personnages de Nous Sommes Cruels.
La fin est moins tragique que dans l'oeuvre de Laclos, même si cela ne s'achève pas par un happy end. Les dernières lettres montrent que le jeu des deux séducteurs n'était qu'une façon de leurrer le monde, de ne pas voir son atrocité et de pas grandir. Julien (le Valmont moderne) exprime très bien cette idée dans la lettre 277: "mettre un point final à un délire absurde de deux êtres qui voulaient devenir les maitres du monde et qui ignoraient qu'ils n'étaient que des pions".
La liberté n'est qu'illusion.