Roman d'une concision impressionnante, Nuits Appalaches concentre en un peu plus de 200 pages une galerie de personnages dont la route croise celle de Tucker, père mutique et redoutable.
Très vite Chris Offutt déroute par la construction de son récit par épisodes, tout en ellipses, par cette succession des stases du parcours chaotique mais déterminé de Tucker, amoureux transi et paternel vengeur. La trajectoire de Tucker est celle d’un vétéran à peine majeur qui revient au pays en ayant appris à tuer et à survivre. Sur son chemin se dressent des hommes, à abattre ou à dominer. Quelques femmes à aimer, à comprendre et à respecter. Et enfin ses enfants qu’il protégera quoiqu’il en coûte, quitte à se tromper salement. On le suit à vive allure sans répit, sans temps mort, comme asphyxié par l’enchainement des événements qui mènent à l’inéluctable.
Chris Offutt y brille par un style mêlant simplicité, efficacité et précision. Chez lui, un arbre n’est pas un arbre, c’est un « pacanier », le chant d’un oiseau est identifiable, le nom d’un champignon et sa forme aussi. Là, où la vie de Tucker file sur une quinzaine d’années sans qu’on ait le temps d’y prendre part vraiment, la nature, elle, s’offre à nous, immuable, témoin imperturbable des avaries de la famille de Tucker et Rhonda. Et c’est dans cette nature matricielle que Tucker devient l'être implacable, l’Homme sauvage, le survivant dont sa famille a besoin.
Chris Offutt prouve ici qu’il est non seulement un conteur possédant une rare maitrise du rythme mais aussi un écrivain à la plume remarquable.