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livre de Miki Liukkonen (2017)

L’éditeur ne nous ment pas en parlant d’un roman « maximaliste », qu’il serait vain de vouloir résumer dans sa linéarité, tant l’éclatement est son principe même. Le récit, sans queue ni tête, est quasi impossible de suivre de A à Z, et mieux vaut se laisser porter par la prose sans chercher à tout comprendre. Le récit ne dure que 7 jours et met en scène un très (trop ?) grand nombre de personnages, qui disparaissent et réapparaissent au fil du livre, chacun censé représenter une névrose : crises d’angoisse, d’hystérie, paniques diverses et variées…
On suit ainsi pêle-mêle : une équipe de natation qui s’entraîne pour les Jeux olympiques sous la férule d’un entraîneur à moitié fou ; le PDG d’une entreprise qui considère la fabrication de toboggans comme son « médium d’expression artistique » mais qui oublie parfois les règles élémentaires de la pesanteur dans la réalisation de ses joujoux ; un professeur de littérature qui voue un culte aux aubergines ; une jeune fille qui, suivant les préceptes du philosophe Pascal, s’enferme dans sa cabane de jardin pour échapper à ses névroses ; un jeune garçon maladivement timide qui ne communique que par le biais de post-it ; un monomaniaque qui rêve toujours de la même course cycliste ; un homme qui se promène infiniment dans Copenhague, tentant tant bien que mal d’épuiser la ville (clin d’œil évident à Perec et à sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien) ; un animateur radio obnubilé par La Critique de la raison pure ; un junkie qui vit sous son bateau en Espagne ; des fanatiques de Bach ; des Roms spécialisés dans le trafic de chevaux et qui essaient de faire des voyages dans le temps ; un phobique de la mycose des pieds ; un ex-violoncelliste manchot, un ventriloque schizophrène ; un clown agoraphobe, etc.
Toute cette faune loufoque et excessive se croise aux hasards de circonstances diverses, compétitions sportives, colloques universitaires, concerts de rock, applications de rencontres et dessinent peu à peu un univers à la fois excentrique et terriblement pessimiste, puisque chacun, mû par ses propres névroses, ne fait que tourner indéfiniment en rond… à l’instar du récit lui-même, dont le titre « O », comme un serpent qui se mord la queue, porte déjà en lui-même la négation du récit classique linéaire – d’ailleurs, parmi les personnages, un fanatique des théories de Stephen Hawking s’efforce à nier l’existence du temps, rentrant dans des considérations scientifiques assez pointues… Et il n’est pas le seul : d’autres personnages, accoudés au bar devant une bière, débattent des théories de l’information, de théorèmes mathématiques divers, de la relativité ou de la nature des trous noirs…

Une expérience littéraire intéressante, franchement déjantée, attrayante à bien des égards, mais aussi indigeste par endroits… Le moins que l’on puisse dire, c’est que la forme est éclatée : digressions, flashbacks, mise en abîme constante du récit, foisonnement de notes de bas de page qui phagocytent le texte, composition labyrinthique, descriptions détaillées à l’extrême, structures sinueuses et phrases parfois longues de plusieurs pages… il faut s’accrocher pour ne pas s’égarer dans le récit. De fait, il me semble que très peu de lecteurs auront l’énergie de venir à bout de ce texte, car s’il fournit de beaux moments de lecture, on a aussi parfois l’impression qu’il s’agit plus d’un roman fourre-tout que d’un roman-fleuve…
Malgré tout, le texte n’est pas si difficile à lire en soi (à l’exception des passages scientifiques), notamment grâce à sa verve comique, un peu dans la lignée de La Confrérie des imbéciles de John Kennedy Toole. Dans la grande variété de registres convoqués par l’auteur, ce sont les passages de grotesque qui sont les plus réussis. Mention spéciale à la partie de frisbee endiablée, sur plusieurs pages, que se livrent deux gamins. En revanche, tout ce qui relève du discours métaphysique sur la vie et sur la mort est parfois un peu agaçant et barbant. De même pour les passages encyclopédiques, par exemple lorsque l’auteur parle des expériences de Nikola Tesla ou décrit le « projet MK-Ultra », monté par la CIA pour développer des techniques de manipulation mentale : on ne comprend pas bien en quoi cela s’intègre à l’ensemble.
À la longue, difficile de n’être pas lassé par l’absence de cohérence du texte. On se sent certes en présence d’un auteur très talentueux, mais on s’irrite devant l’inégalité de l’ensemble.

Courfeyrac
5
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le 6 sept. 2022

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