Oblomov, c'est d'abord et surtout le nom même du protagoniste, un homme d'une trentaine d'années, déjà fané et éteint, fonctionnaire au zèle plus que douteux, et qui passe le plus clair de son temps sur son divan à dormir. On croit à la paresse, à l'aboulie. Sa torpeur inquiète amis, proches, et bien sûr ses serviteurs, à commencer par le plus fidèle : Zakhar. Zakhar, c'est l'homme à tout faire, qui grommelle et s'exécute, rudoie et réconforte son maître, malgré tout.
Or, il ne faut pas se méprendre: ce texte étrange, qui apparaît comme une suite de portraits savoureux et de monologues soliloqués, n'est pas qu'une satire. Il y a surtout quelque chose de plus grave, de plus profond et donc de plus humain, à savoir ce refus de l'existence à venir des mondanités. Oblomov ne veut pas mourir, mais dormir. La vie ne lui est pas un fardeau; cependant, il en refuse les troubles et les secousses. Gontcharov va même jusqu'à inventer un terme à la mesure de son personnage : l' "oblomovstchina" : ce renoncement à l'agitation, au tumulte, au divertissement.
Cette fable métaphysique est tout sauf épaisse. Petit noble russe perclus de souvenirs et fuyant le monde, Oblomov rêve, mène une vie parallèle sans les soucis du réel. Dans son appartement négligé il reçoit, malgré lui, une multitude d'amis et de visiteurs l'exhortant à se lever. Peine perdue. Aller au théâtre, voyager, écrire... à tout cela, il renonce. Le futur l'épuise, penser à l'avenir est une torture. Il se replie alors sur lui-même, menant une vie au ralenti, hors du monde.
Texte très moderne, tant dans l'analyse des personnages que dans sa construction narrative, Oblomov est une roman sur l'angoisse, la paresse érigée en sa sagesse pratique, à la fois échappatoire fantastique et impasse fatale. Au-delà du simple récit, ce texte offre une réflexion vivante et atemporelle sur l'existence illustrant ainsi quel type de connaissance de la vie est capable la littérature.