La mer
“Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer” Disait Baudelaire, et...
Par
le 9 août 2023
Ce poème sensationniste d'Alvaro de Campos commence un matin avec l'arrivée d'un paquebot en vue du port. Cela déclenche une réflexion sur l'existence comme vie maritime.
Une rêverie galopante le propulse au temps de la marine à voile avec Jim Barns comme porte-voix.
"Comme vous, enfin, gagner des ports extraordinaires !
Fuir avec vous la civilisation !
Perdre avec vous la notion de morale !
Sentir au loin se métamorphoser mon humanité !
Boire avec vous dans les mers du Sud
De nouvelles sauvageries, de nouveaux branle-bas de l'âme,
De nouveaux feux au centre de mon esprit volcanique !
Le délire se fait masochiste, s'identifie amoureusement à la violence primitive des pirates.
"Oui, oui, oui... Crucifiez-moi dans vos traversées !
Et mes épaules jouiront de ma croix ! (...)
Qu'on fasse des agrès de mes veines,
Des amarres de mes muscles !
Qu'on m'arrache la peau, qu'on la cloue sur la paroi des quilles
Et que j'éprouve la perpétuelle souffrance des pointes enfoncées !"
Le poète devient en imagination le réceptacle de toutes les violences maritimes passées. Sa libido homosexuelle et sadomasochiste explose :
"Ah ! être dans tous les crimes ! être tout ce qui participe
Aux abordages, aux viols et aux massacres !
Être tout ce qui est arrivé pendant les mises à sac !
Être tout ce qui a vécu et agonisé sur la scène des sanglantes tragédies !
Être le pirate type de toute la piraterie à son apogée,
Et la victime-synthèse, mais en chair et en os, de tous les pirates du monde !"
"Être dans mon corps passif la femme-toutes-les-femmes
Qui furent violées, assassinées, blessées, déchirées par les pirates !
Être dans mon être subjugué la femelle qui doit être la leur !"
L'ingénieur Alvaro de Campos aux "nerfs féminins et délicats" admire la sauvagerie illégale des pirates :
"Ne pouvoir avancer qu'avec la douceur des mœurs sur le dos - paquet de fanfreluches !
Garçons de course - et nous le sommes tous ! - de l'humanitarisme moderne !
Crétins de phtisiques, de neurasthéniques, de lymphatiques,
Sans courage pour être gens de violence et d'audace !
Et notre âme comme une poule avec un fil à la patte !"
Après tant d'exclamations, d'interjections et d'onomatopées, la tornade hystérique s'essouffle, remplacée par une dépression de l'âme. La nostalgie de l'enfance se mêle à la chanson du Grand Pirate, à la vie commerciale des ports, aux visages si singuliers des voyageurs, à l'adieu au steamer anglais quittant le port de Lisbonne.
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Créée
le 7 déc. 2016
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