Je ne critiquerai pas ici les œuvres poétiques majeures de Rimbaud, dont j’ai déjà parlé ailleurs. Dans cette édition, je me suis plutôt intéressé au reste, comme les travaux d’élèves, l’Album zutique et la correspondance. Je l’ai lu en ayant à l’esprit la légende de Rimbaud, le jeune aventurier des lettres devenu aventurier réel dans l’Est de l’Afrique, trafiquant d’armes et d’esclaves. J’allais enfin comprendre le mystère Rimbaud !
Mais la réalité est décevante : il n’y a pas de mystère ! et la légende a bien peu de rapports avec la réalité. En effet, sa correspondance, après les lettres géniales « du Voyant », montrent moins un aventurier qu’un boutiquier, ne semblant se préoccuper que de stocks et du cours du musc et du café ! Un éternel insatisfait, qui semble avoir fait sienne l’idéologie étriquée qu’il brocardait tantôt, approuvant le rejet de son frère par sa famille parce qu’il a fait un mauvais mariage, ou demandant à sa mère de lui trouver une épouse ardennaise bien docile à ramener en Éthiopie. Les lettres des autres correspondants ont évidemment encore moins d’intérêt. Cependant, les lettres de sa sœur Isabelle après sa mort permettent de voir combien l’œuvre de Rimbaud détonnait en cette fin de siècle. Elle ne cesse de le décrire comme un saint, et propose même de moraliser son œuvre en la censurant et en en modifiant des passages ! Comme si Rimbaud ne pouvait être considéré que sous le prisme de la légende, épique, monstrueuse ou angélique !
Concernant les œuvres mineures de Rimbaud, elles sont parfois elles aussi nimbées d’une légende sulfureuse, mais la plupart n’ont plus de quoi vraiment choquer. Leur intérêt est ailleurs. Ses vers latins sont impressionnants. Et surtout, le jeune Rimbaud se montre versificateur génial (rien d’étonnant, me direz-vous), et excellent dans le pastiche, notamment dans ses imitations de Coppée dans l’Album zutique. C’est si bien fait que l’on en vient à se demander dans quelle mesure beaucoup des premiers poèmes de Rimbaud (dans Les Cahiers de Douai, notamment), ne sont pas eux-mêmes en grande partie des pastiches, donnant à lire à ses destinataires bien installés dans le monde des lettres ce qu’ils souhaitent. En effet, l’on reconnaît bien des influences… Encore une fois, la légende est écornée : ses poésies initiales ne sont peut-être pas tant le cri de révolte d’un adolescent que les premiers pas sur la scène littéraire d’un jeune ambitieux de province, qui a bien compris de quoi est friand le cénacle poétique parisien…
Un mot enfin sur l’édition que j’ai utilisée, c’est-à-dire celle d’Antoine Adam pour la Pléiade, et qui a depuis été remplacée par une autre, plus récente, et qui est en effet assez dépassée. Elle présente d’abord une introduction qui montre de façon assez convaincante la cohérence de l’aventure poétique de Rimbaud. Mais il y manque des notes et des références précises, et elle semble plus une conférence qu’un travail scientifique. Mais surtout, Antoine Adam montre parfois un esprit moins proche de celui de Rimbaud que de celui des petits-bourgeois qu’il moquait ! Les expériences homosexuelles de Rimbaud le gênent visiblement, et il tremble, en abordant les Lettres du voyant, devant une suspicion de satanisme et de corruption ! Étonnant de la part d’un éditeur de Rimbaud !