On ne voyait que le bonheur par François CONSTANT
"On ne voyait que le bonheur" (ED JCLattès, 2014) est, à mes yeux, un très bon roman de Grégoire DELACOURT.
Conçu en trois parties, la première se découpe en chapitres, chacun dénonçant le prix d'un instant du quotidien banal de Antoine, personnage central du roman et de tous ceux qui gravitent autour de lui, sa famille, les clients, son petit monde passé, présent et sans guère d'avenir. Est-ce que cela peut avoir du sens de vouloir chiffrer la valeur des faits et gestes quotidiens? Le prix d'une vie, le prix d'une glace, le prix d'une tournée au bar, le prix d'une remède antiride, tout et n'importe quoi!
Mais voilà, chacun de ces instants de vie son aussi, pour Antoine des temps de bascule. Il sombre, perd ses repères, ses certitudes. Il n'accepte plus le ronronnement sans heurt d'une vie qui n'en est plus une et tout s'accumule jusqu’à tomber, on ne pourrait plus bas, semble-t-il. Être père est si difficile, pour en sortir, ne faudrait-il pas en finir?
De bonheur, il n'en est pas beaucoup question. Il n'est guère présent qu'en creux, qu'en manque lorsqu'il se perd. Mais l'auteur ne nous a pas pris en traître, il a inséré, tout en début de partie, cette phrase si forte de Louis Galet "Ne me secouez pas, je suis plein de larmes"!
La narratrice de la deuxième partie est toute autre. Elle est colère, haine, certitudes qui, comme le bonheur, se détricotent avec douleur et larmes. Mais on le sent, ce deuxième personnage trouvera la voie pour vivre, la voix pour se dire et retrouver l'espérance qui est le propre des survivants.
Enfin, la troisième partie, laissera une nouvelle place à la vie et nous ouvrira, un peu plus encore, au possible bonheur fécondé par les turbulences assumées de la vies.
Ce roman, très fort, est celui du désamour, de l'incompréhension, de la recherche maladroite de solutions qui n'en sont pas et d'une reconstruction sans promesse vers un vivre ensemble. Les situations évoquées sont si proches de nous que nous pouvons les comprendre. Mais l'auteur ne nous entraîne jamais dans l'identification. Antoine reste lui, il illustre le propos tandis que nous restons nous, en marge du roman, témoins compréhensifs et compatissant sur le bord des pages. Et au fil de ces pages, on ne peut que se poser la question du prix de nos vies, de la valeur de notre bonheur, du prix à payer pour les pertes subies, de celui à consentir pour se refaire une santé dans le domaine et pouvoir vivre heureux! Un très beau roman qui, sans être donneur de leçons, pousse à vivre et aimer!