Opus 77
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le 15 déc. 2019
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C'est au sein du très feutré Conservatoire de Genève qu'Alexis Ragougneau plante son dernier roman. Plus précisément, dans une famille de célèbres virtuoses, les Claessens.
Le père est un chef d'orchestre à la renommée mondiale, et ses enfants, Ariane et David, des prodiges, elle du piano, lui du violon. Il y a une mère aussi, que l'on verra peu mais dont les fréquents internements rythment ce récit étouffant et anxiogène.
J'émerge assez soulagée de ces pages, non qu'elles soient mauvaises en soi mais le mélange d'atmosphère asphyxiante, de tension, assortie d'un certain ennui pour la néophyte que je suis, à lire de longs passages assez techniques et inspirés sur la parfaite maîtrise d'un concerto : voilà qui commençait à faire beaucoup. Ajoutons à cela qu'aucun personnage du livre ne m'est apparu véritablement attachant (à commencer par la prétentieuse et froide Ariane), et nous ne serions pas loin en effet d'un ratage complet entre ce roman et moi.
Toutefois, il faut être juste : tout n'est pas à jeter dans ce roman. Son exigence stylistique, son admirable connaissance du milieu de la musique classique et des techniques instrumentales, la construction narrative plutôt intéressante - le roman débute par des funérailles, effectue ensuite un retour en arrière, pour revenir à son point de départ à la fin - sont réussies.
Il est question dans ce livre de thèmes pas très rigolos comme la Passion (au sens christique, d'ailleurs David ne joue-t-il pas devant une croix ? ) qui dépasse et finit par détruire l'individu, la rivalité au sein d'une fratrie, la défiance filiale, le ressentiment d'un père envers son fils (et vice versa), la carrière, l'ambition, la compétition, l'apprentissage long, douloureux, peu gratifiant, les prestigieux concours de virtuoses qui vont jouer jusqu'au sang pour gravir l'échelle des honneurs..
Tout cela, Alexis Ragougneau le raconte très bien et nul doute que les spécialistes ou du moins, les amateurs avertis, y trouveront matière à extase. Certains passages sont également très poétiques, comme quand Ariane joue et devient une colonne de lumière : l'esthétique n'est jamais laissée au hasard, et peut-être que cet excès finit par desservir le propos.
J'ai pensé plusieurs fois à l'excellent film Whiplash pour l'ambiance boot camp de certaines répétitions, l'exigence du père envers ses enfants, le jeu jusqu'à la souffrance qui devient soudain orgasmique.. Tout cela est très bien rendu. Pourtant, il demeure cette atmosphère ténébreuse et malsaine qui fige un peu la lecture dans un pénible malaise.
On se sent comme à l'aube d'une déflagration qui n'advient jamais. Et puis ces relents de semi-inceste entre David et Ariane, leur côté torturé à l'extrême - à tel point qu'on se demande si vraiment les virtuoses peuvent être épanouis. La maîtrise absolue d'un art rend-elle heureux ? Qu'est-on prêt à sacrifier pour devenir le meilleur ? Le succès est-il plus difficile à vivre que l'échec ?
Autant de questions délicates abordées avec radicalité et singularité - mais pas suffisamment de coeur, selon moi : dommage !
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Créée
le 14 sept. 2019
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