Récit autobiographique publié en 1920 décrivant les quatre années de la Première Guerre mondiale sur le front de l’ouest côté allemand, Orages d’acier compte parmi les livres les plus poignants et les plus réalistes sur ce conflit à en croire ceux qui y prirent part, peu importe leur camp.
Fruit des observations minutieuses consignées dans son journal par l’officier Ernst Jünger, l’ouvrage suit un déroulement chronologique. L’auteur narre ses expériences en tant que fantassin dans les tranchées dans un style précis, vif et extrêmement prenant.
Il y a très peu de pathos dans Orages d’acier, et c’est ce qui fait dire à beaucoup de critiques qu’il est une forme d’apologie de la guerre. Une affirmation à mon sens inexacte, puisque si effectivement Jünger raconte qu’il prit un réel plaisir à combattre auprès de ses frères d’armes, dont il exalte la virile et nécessaire communion dans le feu et la mort, il n’en demeure pas moins un homme comme les autres, en proie comme chacun au cataclysme des bombardements incessants de l’artillerie, à la boue insidieuse des tranchées et aux conditions de vie épouvantables sur le front. Certes son héroïsme est extraordinaire, au sens premier du terme (blessé en tout quatorze fois, il fut récipiendaire de la médaille du Mérite, plus haute distinction militaire allemande), mais cet héroïsme est en permanence tempéré dans le récit par les descriptions de l’apocalypse des combats, de leur violence inouïe et absurde.
Le plus impressionnant demeure à mon sens cette absence totale d’antipathie chez Jünger pour les soldats ennemis. Au contraire, il y a chez lui beaucoup de respect pour ceux qui, comme lui, mettent leur vie en péril au nom d’une cause patriotique. Orages d’acier n’est donc pas un livre engagé, pro-allemand ou anti-Alliés : il est avant tout le compte-rendu de l’expérience de quelqu’un ayant eu à cœur de servir son pays du mieux que son corps et son esprit le lui permirent.
Le livre est également un roman d’apprentissage, en cela que Jünger, âgé d’à peine vingt ans quand commence la guerre, développe progressivement au fil des pages une façon de concevoir le monde qui sera sienne ensuite pour le reste de sa vie. Conception traditionnelle, d’aucuns diront passéiste, ancrée pour partie dans la riche histoire de l’Allemagne et dans la relation symbiotique de l’État prussien avec la guerre comme moyen d’unir les peuples, mais aussi de se transcender soi-même.
On dévore les pages d’Orages d’acier comme on regarde avidement un très bon film : sans en perdre une miette. Il ressort paradoxalement de sa lecture une profonde impression d’humanisme qui tranche bien évidemment avec l’horreur des combats de la Première Guerre mondiale et le compte stratosphérique des pertes humaines. Une contradiction que ne pouvait résoudre qu'un homme ayant pris part à ce conflit tout en en appréciant ce qu'il pût avoir sinon de positif, tout du moins de grand, d'incomparable.
Lu en français dans la traduction d'Henri Plard.