Orbital
7.6
Orbital

livre de Samantha Harvey (2023)

Sur les pas de Thomas Pesquet…

Pourquoi lire ce livre ?

Parce que la magnifique chronique d’Antoine Grivel m’en a donné l’envie :

https://www.senscritique.com/livre/orbital/critique/313412226

À peine une hésitation, car si je suis passionné par tout ce qui "orbite" autour de l’espace, je suis d’abord un technicien curieux des miracles technologiques dont nous faisons preuves pour tutoyer les étoiles, mais j’ai bien compris que là, il s’agissait d’une approche différente : l’aventure spatiale vécue, non par des héros, mais par des femmes et des hommes – presque comme vous et moi – vue au travers du prisme de la littérature et non sous l’œil critique et didactique du scientifique.

Antoine Grivel l’a lu pour le « BOOKER PRIZE 2024 », je l’ai lu pour « L’ESPACE ».

J’avais à peine huit ou neuf ans quand on m’a envoyé au « caté » pour entende la "Bonne Parole". Une chance, le jeune prêtre chargé de nous "instruire" était passionné d’astronomie ! Il nous montrait, photos à l’appui, les beautés du ciel. Sans doute voulait-il nous convaincre de la toute-puissance du Créateur et de la magnificence de sa création ! J’ai gardé cette magnificence et cet éblouissement d’enfant, mais le divin s’est évaporé comme mythe superfétatoire. Six ans plus tard, je cassais ma tirelire et m’offrais ma première bible, à sa sortie : « l’Astronomie Populaire » de Camille Flammarion (éd. 1955).

https://www.senscritique.com/livre/Astronomie_Populaire/critique/246316970

La passion est toujours là et ce ne sont pas trente années de bureau d’étude aérospatiale qui l’auront émoussée.

Alors, quand Antoine m’a fait miroiter une journée dans l’ISS, j’ai foncé. De préférence, en enfourchant Ariane V (j’y ai mis un très modeste grain de sel personnel…), et me voici parmi les six astronautes et cosmonautes réunis par Samantha Harvey pour ces seize révolutions autour de la Terre.


Ne perdons pas de vue que ce livre est UN ROMAN (avec ses inexactitudes d’usage) où les personnages et les situations sont de pures fictions. Certes inspirés par ce qui pourrait advenir mais n’y cherchons pas la rigueur du vécu mais laissons-nous bercer par une certaine poésie qui, pourquoi pas, peut aussi accompagner les hommes aux frontières du Cosmos.


Imaginez, imaginez que vous êtes dans un train et que la campagne défile sous vos yeux, ici des champs, des cultures, des villages, des clochers, des bois, des vignes ; là, des montagnes, des forêts, des pentes enneigées ; plus loin, la côte, la mer, l’océan infini… imaginez que ce train "roule" à quatre cents kilomètres au-dessus de la Terre, à vingt-huit mille kilomètres à l’heure, que votre compartiment soit encombré d’une multitude d’appareils électroniques… vous êtes à bord de l’ISS ! Par les hublots minuscules vous contemplez le paysage à la fois si proche et si lointain :

« Vous quittez un continent et en survolez un autre dans le quart d’heure suivant, et il est parfois pénible de se défaire du sentiment d’un continent disparu, ça vous pèse, toute cette vie qui va, vient et disparaît. Les continents défilent tels des champs et des villages depuis la fenêtre d’un train. Les jours et les nuits, les saisons et les étoiles, les démocraties et les dictatures. »

« Vous regardez à présent le cœur même de la Voie lactée, dont l’attraction est si forte et si fascinante que certaines nuits on a l’impression que l’orbite va se détacher de la Terre et s’aventurer là-bas, dans cette masse d’étoiles dense et profonde. Des milliards et des milliards d’étoiles qui dégagent leur propre lumière, ce qui fait qu’on ne peut plus parler d’obscurité. »

Vous voilà prisonnier de la Station Spatiale Internationale avec les six astronautes imaginés par Samantha Harvey, car pas question de descendre au prochain arrêt, en tous cas, pas avant plusieurs mois. Vous allez partager leur vie à bord, leur solitude en commun, leurs petits et gros problèmes personnels. Pas toujours facile, la promiscuité dans un espace réduit où toute intimité est mise à défaut, où l’absence de gravité transforme tout, « les sols mêmes qui sont des murs et les murs qui sont des plafonds et les plafonds qui sont des sols. » Où la succession des jours et des nuits bouleverse la notion du temps : « Ils sentent que l’espace cherche à les déposséder de la notion de jour. Il leur dit : qu’est-ce qu’une journée ? Ils répondent que c’est vingt-quatre heures et les équipes au sol le leur répètent, mais l’espace prend leurs vingt-quatre heures et leur lance en retour seize jours et seize nuits. » Alors, « L’esprit est dans une étrange zone hors jour, il surfe sur l’horizon en fuite de la Terre. Le jour est là, puis voici la nuit qui leur fonce dessus, pareille à l’ombre d’un nuage survolant un champ de blé. Trois quarts d’heure plus tard, revoici le jour, qui accourt depuis le Pacifique. Plus rien n’est tel qu’ils le pensaient. »

C’était nettement plus reposant dans le train vagabond de votre imaginaire !

Ici un peu de physique s’impose. Plus un corps est massique, plus il exerce une force d’attraction importante, le Soleil attire la Terre, la Terre attire le Soleil (dans une moindre mesure !), ces deux forces tendent à les faire se rapprocher… mais la Terre tourne autour du Soleil créant une force centrifuge qui annule exactement les forces d’attraction. Il en va de même pour un satellite de la Terre qui doit tourner autour d’elle pour compenser, par la force centrifuge, la force d’attraction exercée par la Terre. Sa vitesse de rotation est d’autant plus élevée que son altitude est basse. Pour l’ISS, à environ 400 km d’altitude, pour s’y maintenir, il doit faire 16 tours de la planète en 24 h (période de 92,69 min), tantôt illuminé par le Soleil (jour), tantôt à l’ombre de la Terre (nuit).

Ne pas se fier au planisphère qui figure au début du livre et qui pourrait laisser croire que la trajectoire de l’ISS se déplace pour balayer toute la surface du globe… En fait l’orbite de l’ISS se situe dans un plan oblique qui fait un angle d’environ 51° avec le plan de l’écliptique et c’est la Terre qui tourne d’un seizième de tour sur elle-même pendant chaque révolution du satellite permettant ainsi de balayer environ 95% de la surface habitée.

Alors, vous vous penchez sur les lucarnes de la coupole d’observation et vous contemplez notre planète-mère dans tous ses états. Elle est si magnifique, si imposante, si majestueuse que vous venez à douter qu’elle ne soit pas au centre de tout, et même, pourquoi pas, qu’un dieu l’ait déposée ici, au centre même de l’Univers… Mais non, « la Terre est un grain insignifiant au centre de rien. » Des siècles de réflexions et de découvertes nous l’ont démontré, « non seulement nous sommes sur la touche de l’Univers mais d’un Univers fait entièrement de lignes de touche, qu’il n’y a pas de centre, juste une masse vertigineuse de choses qui valsent. »

Alors, tout d’un coup, elle devient minuscule et fragile, menacée dans les mains avides des hommes, c’est « un joyau suspendu d’un éclat époustouflant. Les humains ne peuvent-ils donc connaître la paix ensemble ? Avec la Terre ? Ça n’a rien d’un vœu pieux, c’est une demande agacée. Ne peut-on pas arrêter de tyranniser, détruire, piller et gâcher cette chose unique dont dépendent nos existences ? »

Est-ce uniquement en s’éloignant de la Terre qu’on réalise combien elle nous est indispensable et vitale ? Alors, si c’est le prix à payer, peut-être que la conquête de Mars devient une nécessité…


Philou33
8
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le 28 déc. 2024

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Philou33

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