Etrange bouquin... L'introduction l'annonce, il s'agit ici d'un "roman-haiku",deux formes antinomiques s'il en est, et pourtant jointes ici en une narration expérimentale. Le narrateur du roman est un peintre qui part dans la montagne à la recherche de l'inspiration et d'une forme froide de sérénité . Peintre il l'est sans doute, car on le voit en effet tenter durant tout l'ouvrage de créer une image, un tableau ou au moins une esquisse, mais il est surtout un bavard critique littéraire qui nous fait suivre son cheminement de pensée, philosophique et tortueux. Ce livre est à la fois simple par son intrigue (un peintre rencontre une femme qui le fascine) et compliqué par son propos (la recherche d'une certaine perfection dans l'art), le tout emprunt d'une poésie japonaise lapidaire et impressionniste.
L’aspect "haiku" du livre apparaît surtout dans le premier quart du livre je trouve, lorsque l'auteur sur les sentiers est assailli de sensations sur le printemps , les fleurs et la nature et nous transmet comme en flux de conscience son admiration pour les 17 syllabes du haiku classique. Du coup le livre prend réellement une dimension poétique étonnante et très hachée, chaque phrase se chargeant de sens, et le roman se construisant comme une accumulation de sensations. Ca sent un peu la madeleine de Proust aussi cette affaire, et c'est aussi plaisant que déroutant.
Coté roman, Natsumé Soseki nous sert une "romance" assez glaciale (il est d'ailleurs question de la température de l'eau et la figure d'Ophélie revient sans cesse, signe ou menace) entre ce peintre analytique et une femme moqueuse qui a la réputation d'être folle, ayant hésité autrefois entre ses amants. Perdu dans la brume de la montagne et de ses pensées, notre héros voit cette femme comme une sorte d'apparition, dont la réalité n'est confirmée que par les dires des autres personnages (paysans , moines et autres servantes, qui ont eux une présence presque théâtrale, presque comique, presque nô en somme... Le roman se teintera pourtant sur la fin d'accents plus sombres avec l'irruption du sinistre conflit russo-japonais ...
Livre de réflexion donc sur l'Art japonais et occidental (on y cite des poètes chinois comme des poètes comme Shelley, des peintres comme Turner), sur le Détachement, sur un certain rapport à la réalité (celle-ci prendra d'ailleurs le dessus sur la dissertation esthétique, sous la forme d'un train final, expression du XX° siècle selon l’auteur). Emaillé de réflexions rusées et amusantes, et interpellant son lecteur par sa forme inhabituelle, "Oreiller d'herbes" n'est pas une lecture facile je crois mais Oseki y a insufflé un charme unique qui en fait un objet surprenant. Intéressant!