Lire Orgeuil et préjugés, c'est se faire raconter une histoire de maison de poupée. Jane Austen nous plonge dans un univers factice, coupé du réel, et qui pourtant épouse les apparences de cette Angleterre du début du XIXeme, en proie à l'effondrement lent et inexorable de son système de classes jusqu'alors particulièrement imperméable. Comme une photo dont elle aurait découpé les personnages, bien réels à l'origine, pour nous raconter sa petite histoire à l'eau de rose.
Alors que la guerre fait rage, elle est inexistante pour les personnages. Elle n'est jamais cité une seule fois de tout le roman, alors même que les régiments conséquemment en circulation à travers le pays sont au cœur des intrigues qui frapperont la famille Bennett ! Le désœuvrement des membres de cette dernière est d'ailleurs un autre de ces vides, comme le blanc d'un décor inachevé, laissant à croire qu'on passe chez les Bennett des mois entiers à parler du seul bal à venir.
Cet escamotage de la gravité historique comme des obligations et activités quotidiennes de la vie d'alors met en lumière la véritable raison d'être du roman d'Austen : la comédie de classes. De la première phrase célèbre ("It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune must be in want of a wife.") à la dernière ou presque, on est happé par l'ironie déployé, la fraicheur et la brillance du regard porté par l'auteure sur ses personnages, parmi lesquels elle fait cohabiter avec plaisir les caractères les plus opposés (les époux Bennett) et les stéréotypes (l'imbuvable Mr Collins, voir Bingley, prince charmant et fortuné unilatéralement charmant et fortuné). La galerie de portraits est largement dominée par Elizabeth, héroïne attachante et pleine d'esprit, qui vogue tant bien que mal dans cet océan de snobisme jusqu'à sa fin de conte de fée moderne.