Si je devais noter mon plaisir de lecture, je me rappellerai que ma progression a été fastidieuse, souvent motivée par le devoir de lire un Woolf en entier (drôle d'injonction je sais), que j'ai peiné des chapitres entiers, que parfois j'oubliais aussitôt ce que j'avais lu tant les vies d'Orlando me coulaient dessus comme de l'eau vive.
Mais je me rends compte que 24h après l'avoir terminé, Orlando m'obsède. Enfin plus qu'Orlando, c'est Virginia Woolf et sa grande singularité, qui m'obsède.
C'est très étrange de constater que cette œuvre m'a causé pas mal d'ennuis mais aussi de très beaux flottements de rêveries : Virginia Woolf m'apprend qu'on peut tout faire en littérature, que l'écrivain (ici sous couvert d'être un Biographe) peut tout faire de ces personnages, lui construire des vies aussi fantasques que les limites de son imagination. Qu'importe la vraisemblance et le réalisme, qu'importe le chemin qu'on avait pris pour un temps, des sorties et bretelles d'autoroute sont envisageables à tout moment. Et les bifurcations improbables sont maîtrisées avec brio. Le récit d'Orlando, c'est un long rêve souvent insaisissable, un trip puissant et soporifique à la fois. Presque un genre en soi !
Je suis très réceptive au réalisme magique, ça donne une dimension indéfinissable au roman, une liberté de déborder de la trame qui me ravit à chaque fois. Virginia Woolf ne boude pas son plaisir, on sent une réelle joie dans l'exercice de style qu'elle déploie, parfois je trouve avec une forme de maladresse (un côté un peu brouillonneux). Orlando semble avoir été une grande récréation pour elle, qui a toujours accouché de ses romans dans la douleur.
Elle m'a donné parfois des claques d'écriture, de broderie stylistique et de créativité. Même si j'ai beaucoup trop peiné sur les méandres parfois anecdotiques et baroques de la vie d'Orlando, j'ai adoré pensé à Virginia Woolf l'écrivant.
Certains (malheureusement rares) passages sont si empreints de fantaisie et de liberté que ça en est exaltant pour elle, et qu'on a envie de se mettre à écrire. Il y a un peu de Jacques le Fataliste dans la figure du Biographe qui brise parfois le 4ème mur (enfin on est pas au cinéma, mais vous voyez l'idée) en nous interpellant, s'emmerdant parfois avec nous, ou justifiant ses choix narratifs. Virginia est très drôle, et ces passages ironiques sont un régal.
Les derniers chapitres où Orlando devient la somme de ses vies, après avoir traversé les siècles, les continents, les genres... les réflexions finales du Biographe sur la signification du Moi, les 1001 Moi qui sont comme des assiettes dans les mains d'un garçon... merveilles qui m'ont fait oublier la maladresse (assumée) de la construction du récit.
En résumé : le style est parfois merveilleux, plein de passages sont vraiment chiants. Virginia je t'aime, je te pardonne tes disgressions, j'aime te voir t'amuser, je vais continuer à te lire, à aimer tièdement tes écrits mais a adoré ta personnalité spirituelle et intelligente. Tu me maltraites un peu, mais j’ai quand même envie de lire tous tes livres, étrange non ?