Il s’agit d’un roman construit sous l’angle du traumatisme multi générationnel (du petit fils à la grand-mère), mais également une plongée ethnographique captivante dans l’univers russe, de l’extrême nord sibérien qu’Isabelle Autissier, nous livre avec un style fluide et sobre.
Fruit d’un travail très documenté, ce livre traduit les connaissances et expériences de l’autrice, navigatrice mais aussi ingénieure en halieutique, ayant probablement côtoyé ces contrées sinistrées du Nord polaire de l’ex Union soviétique, où le soleil ne se couche jamais, et où il fallait payer le touriste d’y venir en villégiature.
L’âpreté et beauté de la nature faisant écho à la profondeur des âmes, et à leurs aptitudes à se sortir de la noirceur de leurs existences, en particulier, celui de ce fils expatrié aux États-Unis, répondant à l’appel d’un père mourant dans un hôpital de Mourmansk, après plus de 20 ans d’absence.
C’est donc une lecture qui se déroule à l’imparfait, pour chaque génération, du petit fils Youri, au père Ruben, dont le nom indique l’éclat de la pierre, alors qu’il sera marin, pour remonter jusqu’à la grand-mère, Klara, géologue ou pétrographe, titre du livre, qui incarnera la finale sous l’étau du nucléaire soviétique.
La toile de fond du goulag, baptisé ‘hachoir à viande’ par les détenus, connue comme la ‘plus grande entreprise du pays ‘, jusqu’en 1953, sous la férule de Béria, sera largement décrite.
Mais Mourmansk restera le lieu central de l’intrigue, port mythique de métal, béton, grues, vieux navires délabrés à propulsion nucléaire, comme autant d’épaves industrielles, titillant une gloire oubliée que seul le compteur geiger rappelle à un réalisme implacable.Les navires congélateurs, le chalutage industriel en pleine mer de Barents sont l’occasion de pages les plus éblouissantes d’osmose violente entre les hommes et les éléments mais surtout entre les hommes.
L’île de Sipaeivna sera la dernière étape du livre, et sans en dire plus, également celle de son peuple autochtone, les Nenets.
L’on peut rendre hommage à Isabelle Autissier, d’avoir abordé dans ce roman publié en 2019, les profondes cicatrices d’un système politique répressif, en particulier l'internement carcéral à grande échelle, et le problème sociétal et éco-environnemental qui en résulte encore, dans un pays désormais en guerre depuis plus de deux ans.