À Paris-Austerlitz, « Le départ de l’Intercités de nuit n° 5789 est prévu à 20 h 52. Il dessert les gares de Valence, Crest… Briançon. »
Quand j’étais enfant, juste après la guerre, en 1946, mes parents ont quitté Paris pour s’installer à Périgueux, j’avais six ans, il nous arrivait régulièrement de faire des aller-retours, en train de nuit, entre la capitale et la Dordogne. Le souvenir qui reste gravé dans ma mémoire c’est la halte en gare de Limoges, au retour, avec une bonne heure d’arrêt, en pleine nuit, attendant le raccordement à une autre rame de wagons (venant de je ne sais où) avant de continuer le voyage. Cette heure d’attente plongeait le train dans une atmosphère très particulière, un lourd silence succédant au tintamarre de plusieurs heures de trajet, à peine troublé par les conversations sourdes, étouffées ou chuchotées de quelques voyageurs, maintenant une apparence de vie suspendue, comme en marge d’un évènement singulier, mystérieux et irréel. Plus de soixante-dix années plus tard, j’ai toujours cette ambiance, légèrement angoissante, dans l’oreille. Nostalgie, nostalgie…
Donc, à 20 h 52, pétante, avec son vingt-troisième roman « Paris-Briançon », Philippe Besson, nous entraine sur les voies (ferrées) tragiques de la destinée …
Philippe Besson est né en 1967 à Barbezieux-Saint-Hilaire (Charente). En 1984, il suit une classe préparatoire HEC à Bordeaux. Il est reçu en 1985 à l'École supérieure de commerce de Rouen et est diplômé de cette école. En 1988-1989, il retourne à Bordeaux pour suivre des études à la faculté de droit. Il obtient un DESS de droit social. À cette époque qu'il fait la connaissance, alors qu'il a 22 ans, de Paul âgé de 25 ans, étudiant à l'université, personnage de son roman Un certain Paul Darrigrand (2019).
Anciennement directeur des ressources humaines en entreprise, il est écrivain, dramaturge et scénariste. Il a été également critique littéraire et animateur de télévision. Il se fait connaître en tant qu'écrivain avec le roman En l'absence des hommes en 2001, qui reçoit plusieurs prix. Il totalise 23 romans, dont plusieurs ont été adaptés pour le cinéma ou le théâtre, et il a participé à l'écriture du scénario de plusieurs téléfilms.
On va faire la connaissance d’une dizaine de passagers qui prennent place, pour des raisons diverses, dans les voitures couchettes du train de nuit qui relie Paris-Austerlitz à la gare de Briançon, dans les Hautes-Alpes. Un genre de train qui n’attire plus guère les voyageurs depuis les années 80 et l’arrivée des trains à grande vitesse. Ce train-là n’est rempli qu’à moitié lorsque le coup de sifflet du départ retenti. « Tant et si bien qu’on se demande si les cent et quelques qui prennent place à bord ce soir sont de doux rêveurs, d’incurables nostalgiques, ou tout simplement des gens qui n’ont pas eu le choix. »
Nul n’est besoin de se voiler la face : dès le prologue on est averti qu’un drame va venir ternir cette jolie image un peu démodée : « Bientôt, le train s’élancera, pour un voyage de plus de onze heures. Il va traverser la nuit française. Pour le moment, les passagers montent à bord, joyeux, épuisés, préoccupés ou rien de tout cela. Parmi eux, certains seront morts au lever du jour. »
Mais pour l’heure, le train roule dans la campagne obscure et cette obscurité extérieure accentue le sentiment de huis-clos, ce qui rapproche les êtres et délie les langues.
Une sorte de vague communauté se forme, tous embarqués dans un espace réduit, désœuvrés, autant faire connaissance et peut-être créer des liens amicaux, même éphémères. Ainsi Alexis, le médecin, la quarantaine ; Victor, vingt-huit ans, le hockeyeur et moniteur de ski ; Julia, trente-quatre ans, assistante de production TV, et ses deux enfants ; Jean-Louis et Catherine, la soixantaine, retraités ; Serge, quarante-six ans, V.R.P. ; Manon, Leïla, Hugo, Dylan et Enzo, dix-neuf ans, étudiants… Tout ce petit monde qui n’avait aucune raison de se côtoyer se retrouve là, le temps d’une nuit, pour un voyage à petite vitesse dans la campagne française.
Ainsi, pour la première fois de sa vie, Serge, le baratineur, s’adresse à Julia, sans arrière-pensée « Voyez, c’est ça que j’aime dans les trains. C’est qu’un type comme moi n’aurait jamais rencontré une femme comme vous sinon. » Des liens se forment. Des confidences se font. Des complicités apparaissent…
Mais le Destin guette, combien se sont-ils retrouvés dans ce train tragique par un concours de circonstances malheureux ? « Victor est soudain songeur. Il fait le compte de ce qui s’est produit pour qu’il arrive là, le rendez-vous qui s’éternise à la clinique, la panne de métro, le TGV qui part sans lui, et cette solution de remplacement… »
Combien se demandent si ces concours de circonstances malheureux sont une fatalité ?
Combien croient que « ce qui arrive serait déterminé à l’avance » ?
Que certains évènements seraient inéluctables…
Qu’il existerait une nécessité échappant à notre volonté…
Qu’une force occulte déterminerait notre devenir…
Et pourquoi ne pas faire intervenir Dieu, tant qu’on y est…
Deux parties dans ce livre, la première, que j’ai bien aimée, psychologique : le rapprochement des personnes suivant leur sensibilité, leur force et leur faiblesse. La nuit et l’intimité poussent aux confidences et aux rapprochements. En développant un peu, le livre pourrait en rester là, avec des ouvertures sur des promesses d’avenir.
L’auteur en a voulu autrement.
Je ne trahirai rien en dévoilant que la deuxième partie est un drame. Un accident du rail comme il en arrive parfois. Aussi terrible qu’il soit, l’auteur a, heureusement, évité le mélodrame.
Je ne sais si l’auteur est parti d’un fait divers dramatique auquel il a ajouté des rencontres fortuites de passagers, ou s’il a voulu traiter ce type de rencontres dans un huis-clos et y ajouter un drame en apothéose. En fait, peu importe son intention… Personnellement, je suis resté un peu spectateur, extérieur à cette deuxième partie la ressentant quelque peu superfétatoire. Il s’agit d’un point de vue tout à fait subjectif.
P.S. : Deux extraits dans la liste Q - FRAGMENTS