Magnifique lettre de Černá à son amant, Egon Bondy, qui n’est pas seulement une lettre d’amour mais également une sorte de manifeste philosophico-poétique et dont l’érotisme complètement cru souligne une mise à nu, un abandon total de soi. En fait, en lisant cette lettre, on entre dans l’intimité d’une auteure qui revendiquait et jouait de sa marginalité, ce qui nous permet d’avoir accès à un fragment de sa pensée libérée.


Je suis particulièrement charmée par la conception absolue de l’amour que Černá développe, puisque cette longue lettre reste une véritable déclaration d’amour, et surtout l’affirmation d’un amour total, c’est-à-dire d’un dévouement absolu mais pas aveugle, où le désir le plus pulsionnel côtoie le processus créateur, puisque les discussions philosophiques sont inséparables de la sexualité.



Je veux passer des heures à bavasser pour pouvoir coucher avec toi et je veux baiser avec toi pour parvenir à ces heures de discussion



Et à cette conception totalisante de l’amour, répond aussi le contenu même de la lettre où se succède une tendresse émouvante, qui frise parfois le sentimentalisme (mais qu’importe?), et un long passage pornographique. D’ailleurs, je me demande si, aujourd’hui, la lecture de cette évocation si crue de la sexualité, qui prend tout de même une bonne partie de la lettre, se fait sans tabou. En fait, tout est traité avec le même égard car Černá revendique le droit à crier son désir, contre la pensée raisonnable qu’elle perçoit comme contre-nature.


Alors oui, excès d’indécence revendiqué au profit d’un hymne non seulement à l’amour, mais également à la vie dans sa totalité puisque cette lettre manifeste un éclat de vivacité réelle, comme si seule une existence réellement vécue rendait la vie possible. En effet, Černá perçoit dans la marginalité de cet amour underground une manière de dépasser « l’enfer absolu » d’une Prague stalinisée pour un état de grâce, fut-il précaire, douloureux. Ce qui importe donc à l’auteure, c’est non seulement d’exprimer sa passion à Bondy, mais de l’émerveiller, et de s’émerveiller elle-même, en affirmant l’espoir extraordinaire qu’elle engendre.


Impertinente, Černá ne l’est pas seulement dans ses actions, mais également dans son écriture puisque c’est avec humour qu’elle critique la société qui l’entoure, remettant en cause non seulement le tabou lié à la sexualité mais aussi le travail forcé et les institutions académiques. Comme pour l’amour, l’œuvre véritable (qu’elle soit poétique ou philosophique en l’occurrence) lui paraît indissociable de la vie vécue, en fait l’œuvre se créé peut-être même parce qu’elle se vit, au contraire de ce que prétend un diplôme stérile obtenu grâce à une accumulation de savoirs inapplicables au réel. C’est pourquoi la philosophie s’écrit aussi dans l’amour, pour répéter à quel point cet amour fou s’adresse tant à l’intellect qu’au corps de Bondy.


Un mot sur le titre, aussi, qui n’a pas grand-chose à voir avec la lettre dans la mesure où « Pas dans le cul aujourd’hui » provient d’un poème qui n’est pas du tout inclus dans celle-ci… et qui biaise un peu la lecture, même s’il a le mérite d’être tape-à-l’œil et de donner le ton du passage érotique. Mais il me paraît dommage de réduire la lettre à cette dimension, elle livre surtout une vision plus passionnée et éclatante d’une vie dans une situation désespérante.

FuligineuxNympheas
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le 29 déc. 2021

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