Au milieu de l'hystérie qui veut faire de la pensée postcoloniale la menace ultime, avec l'islamo-gauchisme, contre la république, j'ai voulu me confronter à Franz Fanon, une référence intellectuelle souvent citée. Pour comprendre où il se plaçait dans ce paysage.
Fanon est un psychanalyste martiniquais. Son livre s'inscrit dans la lignée du Réflexions sur la question juive de Sartre, qui est abondamment cité. Et dans la méthode, on sent une influence : il s'agit de faire une sorte de phénoménologie du racisme ressenti du point de vue noir. Mais l'argumentation s'appuie sur un mélange d'observations médicales, d'analyses d'oeuvres littéraires, d'anecdotes et de sorte de mythes basés sur des observations sociologiques. Aujourd'hui, sans doute trouverait-on cela un peu court au niveau sociologique.
On trouve des références à des psychanalystes comme Freud, Jung et Adler, mais aussi des analyses sur la négritude (Césaire est cité avec beaucoup de respect, Senghor avec un mélange d'admiration et de circonspection) et divers autres matériaux littéraires. Et aussi le terrible S'il braille lâche-le de Chester Himes. On cite aussi des philosophes à l'occasion : Hegel, Marx. Fanon aime bien le mot Weltanschauung.
Il faut lire Fanon jusqu'au bout. Son livre comporte un nombre de fois incalculable les mots "Blancs" et "Nègres", mais il serait bien stupide de voir en lui un racialiste. Au contraire : il appelle à ce que les hommes se côtoient, se parlent, se jugent sans faire attention à la couleur de peau. Et la conclusion est sans ambiguïté de ce point de vue : Le Blanc n'existe pas, le Nègre n'existe pas. Et Fanon appelle à ne pas chercher dans le passé pré-colonisation les sources d'une résistance : les Noirs des années 1950 doivent créer leur propre futur, et ne pas chercher à le créer en réclamant une réparation pour la colonisation. Au fonds, aussi, Fanon admet que pour s'extirper de sa couleur, un Noir doit passer par la culture occidentale afin de se construire. En ce sens, il anticipe que la négritude ne sera qu'un feu de paille.
J'étais juste un peu déçu par le style, qui rappelle beaucoup les essais de Sartre ou les livres de théorie littéraire/psychanalyse à la Bachelard (cité) ou du Roland Barthes avant l'heure, bref cette époque où il y avait encore le magasin des PUF sur le boulevard Saint-Michel et où le quartier latin était un centre intellectuel. Et puis le prof en moi a tiqué sur un participe présent incorrectement apposé dans le dernier paragraphe de l'introduction (bref, pas grave, seul le message compte).
(Suite de la critique à venir).