La Côte d'Azur d'Adam désabusée
C’est avec un peu d’appréhension que j’ai acheté le dernier roman d’Olivier Adam. Il avait une fâcheuse tendance à dupliquer un même schéma de roman en roman. Des disparitions inexpliquées, une quête désespérée, de l’alcool… Le précédent roman, « Les Lisières », s’en éloignait déjà un peu mais m’avait un poil agacée par son engagement politique un peu trop présent. Donc, appréhension. Mais alors pourquoi j’achète systématiquement ? Et bien parce que j’aime la plume d’Olivier Adam, son style, cette façon d’exprimer avec la plus grande acuité la noirceur de l’âme humaine.
Quelque part non loin de Nice, dans un bled du bord de mer, une tempête s’annonce. Evénement somme toute assez habituel dans la région, ce qui l’est moins ce sont les événements qui vont affecter les habitants de cette petite ville.
Antoine le footeux sanguin, après avoir éclaté le nez d’un joueur adverse, va se retrouver dans le coma après avoir été frappé par deux inconnus. Coïncidence ? Peut-être, ou peut-être pas. Vingt-deux personnages vont se succéder, nous amenant lentement mais sûrement vers le dénouement de cette intrigue qui relèverait presque du polar. Personnages qui se noient, qui ressurgissent des eaux, qui s’aiment, se séparent, s’inquiètent, fuient… tous sont liés d’une façon ou d’une autre. Arbre généalogique tortueux et souffreteux, maillage de destinées, heureux rescapés ou irrémédiablement condamnés, les personnages d’Olivier Adam nous transportent, les uns après les autres, dans une sorte de chronologie éclatée de la vie. La jeunesse fougueuse, amoureuse et irréfléchie, la routine du travail et de la vie de couple, les enfants, la vieillesse ; comme il sait si bien le faire, Olivier Adam appuie là où ça gratte, ça pique, ça brûle. Beaucoup de désespoir, de résignation chez ces gens « d’en bas ». Les horizons sont bouchés, ne leur reste que la Méditerranée mais même elle, ils ne la regardent plus.
J’ai beaucoup aimé cette construction de roman par personnage. Chacun sa place, l’équité, ils ont tous quelque chose à raconter, quel que soit leur rang. Les blessures de l’enfance, le renoncement à une vie meilleure, le deuil, l’espoir… L’intrigue progresse petit à petit mais finalement, personne ne maîtrise rien, tout le monde avance à tâtons mais les dés sont jetés depuis le début. Comme tous les romans d’Olivier Adam, Peine perdue est sombre, désabusé, dépeignant une société engourdie mais peuplée de femmes et d’hommes qui aspirent à la lumière, l’amour, la reconnaissance, et qui se gardent bien de l’exprimer à la face du monde. Et pourquoi d’ailleurs ? C’est précisément ce qui manque à ce roman. Une porte de sortie, un mode d’emploi, quelque chose qui nous fasse entrevoir que le bonheur est possible, quelque part, si on s’en donne les moyens.
« C’est le problème avec la vie, a pensé Antoine. La nôtre est toujours trop étriquée, et celle à laquelle on voudrait prétendre est trop grande pour simplement se la figurer. La somme des possibles, c’est l’infini qui revient à zéro. Au final, ça passe. Ça finit toujours par passer. »
« Ça c’est un truc qui le dépasse. Le nombre de gens qui passent leurs journées à faire du lèche-vitrine, juste pour s’occuper, se donner soif, se faire saliver, comme s’il leur fallait vérifier que tous ces trucs auxquels on les fait rêver à longueur de pub et auxquels ils n’auront jamais droit existent bel et bien quelque part. »
« Au final, la retraite, cet horizon qui semblait le seul possible, la seule promesse à laquelle il ait jamais cru, il ne l’aura connue qu’à peine. Le pire c’est que Marco n’est même pas sûr que ça lui ait servi de leçon. Que lui-même ne mène pas sa vie comme tout le monde en se figurant qu’il y en a une autre après qui vaudrait vraiment la peine de s’emmerder en attendant. »
« En attendant il écoute de la musique. Du folk. Des mecs barbus qui se retirent un an dans des cabanes en bois au fin fond du Canada, qui vivent comme des ours, font des feux de bois et ressortent avec des disques où tout flambe, s’ouvre sur des paysages immenses, une solitude à vous déchirer le cœur. »
« Mais c’est comme ça. Le bonheur donne des forces. C’est comme les épinards. »