" Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques ; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu'on eût vu depuis l'antiquité ; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l'entendement ; qui à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l'air, et détruisit une des grandes erreurs de l'ancienne physique ; qui, à cette âge où les autres commencent à peine à naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s'aperçut de leur néant et tourna ses pensées vers la religion (…) Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal. " Lucide, le vicomte de Chateaubriand laisse percer sa jalousie. De fait, son Génie du christianisme est oublié, alors que l’essai de Pascal a conservé toute sa modernité.
C’est un homme physiquement très diminué qui entreprend cette Apologie de la religion chrétienne. A sa mort, ses héritiers découvriront un millier de feuillets classés en vingt-sept liasses, qu’ils publieront en l’état. Si l’auteur a laissé un plan, l’ouvrage restera inachevé. Nous détenons une œuvre unique, un manuscrit recélant des chapitres achevés, des ébauches de paragraphes, des brouillons, des notes. Certaines idées sont reprises, améliorées, épurées. Nous contemplons un esprit au travail. Sa prose est parfaite, chaque mot compte. Si l’homme était austère, sa plume était sublime et ne cesse de m’émerveiller. Le voilà :
Deux excès : Exclure la raison, n'admettre que la raison.
L'homme n'est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.
Que l'âme soit mortelle ou immortelle, il est indubitable que cela doit mettre une différence entière dans la morale.
Qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n'est pas un autre sommeil un peu différent du premier, dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir ?
Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force.
Il faut se connaître soi-même : quand cela ne servirait pas à trouver
le vrai, cela au moins sert à régler sa vie, et il n’y a rien de plus
juste.
Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se
sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser.
La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée
d’extérieur et d’intérieur. Elle élève le peuple à l’intérieur, et
abaisse les superbes à l’extérieur ; et n’est pas parfaite sans les
deux, car il faut que le peuple entende l’esprit de la lettre, et que
les habiles soumettent leur esprit à la lettre.