En tant que jeune paumé du XXIe siècle, je dois correspondre assez peu à l'idéal stoïcien de Marc Aurèle. Si il m'avait connu, certainement aurait-il dû m'instruire ou me supporter. Heureusement, un vice ne se transmet pas à l'âme raisonnable, elle est une forteresse.
Mais cet Empereur me dit que tout n'est pas perdu. La droite raison est en moi, comme en nous tous, il suffit que je la contemple, que je la comprenne mais surtout que j'applique les vertus qui lui sont consubstantielles. Ces vertus dont il faut sans cesse se souvenir, sans cesse pratiquer pour qu'elles deviennent complètement naturelles dans notre manière d'agir, d'être. Ainsi la modestie, la réserve, la force virile, la tempérance, la piété, la bonté, la générosité envers sa communauté, devraient-être mes valeurs cardinales. Quant à mes passions, mes désirs, mes complexes, la perception que j'ai de moi même et des autres, ils ne sont rien face à la partie raisonnable de mon âme. Grâce à mon Principe Directeur j'ai le pouvoir de changer toutes mes représentations, mes opinions pour qu'elles soient conformes à la Nature de l'Univers. Cette dernière est elle même un Tout transcendant dont la base est la Raison. Ainsi agir dans la Raison, c'est agir dans le sens de la Nature.
Chasse dehors l'opinion et tu seras sauvé. Qui donc t'empêche de la chasser ?
Pour accepter le Tout, la Nature, la Raison, je dois être dans l'acceptation pure du monde. Il ne sert à rien de s'attrister , de pester, d'être frustré, en somme de brusquer sa partie raisonnable pour des choses dont on ne peut changer le cours. Ainsi, me dit-il, je serais sot de m'attrister de la mort d'un proche puisqu'en ce monde tout change, tout se divise, tout se compose, puis se recompose. La transformation, le changement font parties de l'ordre de l'Univers. Ainsi je dois être tel "le promontoire contre lequel incessamment se brisent les flots". Marc-Aurèle a par ailleurs une forte propension à me rappeler ma condition de mortelle,à me montrer à quel point ma vie est fragile, mes envies, mes malheurs ridicules et éphémères
En quelle disposition il faut être, de corps et d'âme, lorsque la
mort te surprendra . Songe à la brièveté de la vie, au gouffre du
temps qui est devant et derrière toi, à la fragilité de toute matière.
Souvent il se rappelle à quel point sa propre existence est minuscule par rapport à ce qui fut et à ce qui sera. Il pense également aux grands hommes qui l'ont précédé, à quel point tout leur était acquis et qui maintenant ne sont plus rien. Pour un empereur à qui rien ne doit manquer, ni la gloire, ni la richesse, ni les honneurs, il est certainement bon de garder les pieds sur terre et d'appliquer avec discipline cette pensée.
Combien d'hommes, autrefois très célèbres sont déjà livrés à l'oubli, et combien de gens, qui les célébraient, depuis longtemps nous ont débarrassés !
Je loue cette pensée de la Raison même si je ne pense pas qu'il soit souhaitable de restreindre l'humain à la partie "raisonnable de son âme". Mais assurément, avoir quelques épigrammes de cet empereur en tête peut être salutaire. Dans notre époque du flux, comme dirait un Sylvain Tesson, il est en effet bon de se rappeler qui est ce Marc Aurèle, qui est ce roc, ce phare dans cette nuit du monde moderne.