Le bouquin en mains pour la première fois, mon seul et vague rapport au mythe du graal, c'est les Monty Python. Le sourire délicatement moqueur aux lèvres du lecteur contemporain prêt à tourner en dérision les chevaliers d'Arthur, leurs duels à l'épée et autres ébats courtois, je me lance hardiment dans ma lecture, fort de la supériorité littéraire -supériorité du bagage culturel j'entends, bien sûr- que je pense avoir sur ces braves médiévaux.
Dès les premières lignes, l'élégance subtile de l'écriture de Chrétien de Troyes me frappe, mon destrier de chefs d'oeuvres classiques et modernes chancelle, mais, constatant la naïveté ambiante qui semble régner dans le royaume de Logres, tient bon. Puis, très vite, l'humour, fait d'une ironie pratiquement insaisissable, qui la rend d'autant plus forte, fait irruption sous la Tente. Ca fait à peine 20 pages, et Chrétien a déjà fait voler en éclats mon écu de préjugés.
Au gré de péripéties de chevalerie courtoise qui paraissent d'une invraisemblance quasi-ridicule à mon esprit cynique du XXIème siècle, je reprends mes aises narquoises, tout en m'émerveillant de la fluidité du style et de la passion qui me prend à suivre l'évolution de Perceval.
Et là, le coup fatal. La scène du Graal. Avec ce monument de symbolisme impénétrable, Chrétien me prend de court, et je me retrouve un genou à terre, incrédule. Mais, à l'image de ses chevaliers, il m'accorde sa merci, et, voyant mon destrier gisant dans ses certitudes qui n'en sont plus, me tend un roussin malingre, sur lequel j'avance, groggy de fascination, dans la suite du roman.
Le sentiment d'assister à une épopée splendide mais futile n'a pas le temps de me reprendre que me voilà plongé dans une description fantastique de ce qui semble être une sorte de purgatoire, où l'ami Gauvain -ah oui, on suit désormais ce gars là- retrouve sans le savoir sa soeur et sa mère, supposée défunte. Encore une fois, Chrétien frappe avec malice, au détour d'un vers soudain, comme sorti de nul part, mais qui, de la même manière que l'épisode du Graal, ne nous quitte jamais plus.
Envouté mais à bout de souffle, je pense être au bout de mes surprises quand survient, au fil d'indications subtiles, une sombre affaire familiale reliant les deux personnages, teintée de psychologie oedipienne. Et là, plus rien. "Ici s'achève le roman de Perceval". Circulez y a rien à voir.
Sadique le Chrétien, à nous planter là, d'un coup, une salive inextinguible de fascination dégoulinant à n'en plus finir. Restent les dizaines de milliers de vers que son conte du Graal aura enfantés -les "continuations", sous la plume d'innombrables auteurs en quête de réponses.
Un peu comme nous, plus de huit siècles plus tard...