Persuasion
7.7
Persuasion

livre de Jane Austen (1818)

étrange expérience, vivre perché sur l'épaule d'Anne Elliot le temps de ce roman !


Comme dans Pride & Prejudice, nous voilà plongés dans une famille de la petite noblesse anglaise, à la campagne.

Sans être spécialiste des degrés de noblesse, on sent que les Elliot sont plus haut placés que les Bennet : on a monté d'un demi-cran, on est juste entre la gentry et la nobility. Là aussi, des soeurs, mais moins, et moins vives. Pas de mère...et tout un petit monde de proches, famille, cousins, voisins, amis...


Anne, un peu comme Elizabeth, est dans une position délicate au début du livre : pas encore mariée, elle approche dangereusement de la date de péremption ( selon les normes de l'époque et de son milieu ), il n'y a pas d'enfant mâle pour éviter que la propriété passe aux mains d'un cousin lointain à la mort du père, ce père n'aime pas Anne, et sa soeur aînée ( influente auprès du père ) non plus. Ce père risque de se remarier avec une intrigante et dilapide lentement mais sûrement les biens de la famille à cause de la haute idée qu'il se fait de son titre de baronnet. Le roman s'ouvre carrément sur la nécessité de quitter le manoir familial pour le mettre en location !


Héroïne sous tension, donc.


Comme dans P&P, on va suivre le cheminement d'une histoire d'amour contrariée.

Sur les conseils d'une amie de la famille bien intentionnée, la trop influençable ( et trop jeune à l'époque ) Anne a renoncé à épouser un marin dont elle était très amoureuse. Il refait surface à l'occasion de la location du manoir, ce qui plonge forcément Anne dans des tourments exquis : la roue a tourné, la ruine relative de sa famille, le vieillissement ( relatif ) d'Anne et la réussite du jeune homme ont inversé le rapport de force, et c'est lui qui, échaudé, ne veut plus d'elle. En apparence, mais est-ce bien sûr ?...suspens...non, pas suspens en fait.

Persuasion n'est vraiment pas un roman à suspens.


Comme dans P&P, Austen fait intervenir un homme charmeur qui s'intercalera momentanément entre Anne et celui qu'elle aime vraiment, la faisant hésiter un instant, ce qui jouera le rôle de déclencheur pour précipiter les vrais amoureux dans les bras l'un de l'autre.


Comme dans P&P, on apprendra que ce séducteur est un très sale type par quelqu'un qui connait son passé et cafte opportunément. Ce qui donne, ici, un long passage de révélations assez ennuyeux parce qu'à ce stade, on avait largement tout compris.


Seul petit détail piquant : la personne de confiance qui fait ces révélations ( par le truchement un peu crapoteux d'une infirmière qui, de par sa fonction, a accès à l'intimité de toute cette petite société et raconte tous ces gossips à sa copine - c'est du propre ! ), cette amie d'enfance providentielle et à moitié infirme qu'on nous a dépeinte sans rire comme quelqu'un de très bien se révèle être, si on y réfléchit, une vraie b.tch, qui n 'aurait pas hésité à laisser Anne épouser le salopiot pour en tirer un avantage matériel...


Le souci, c'est qu'autant Lizzy était insolente, vive, mordante et spontanée, prête à bousculer les convenances, autant Anne est précautionneuse, réservée et soucieuse de se conduire toujours bien comme il faut. Du coup, très logiquement, le livre pétille beaucoup moins que P&P.


On ne peut pas vraiment dire que ce problème structurel soit compensé par une plus grande profondeur psychologique : les personnages sont assez simples, monolithiques et unidimensionnels, comme dans une comédie comique :


Le père obsédé par les apparences physiques et sociales ( si au moins il aimait Anne, comme le père Bennet, la conjonction de cet amour et de ses défauts aurait pu donner une relation intéressante ; mais non, il est platement insensible ), la soeur aînée est assez semblable au père et ne le quitte pas d'une semelle, elle semble purement utilitaire, l'autre soeur plus drôle et plus vivante, mais caricaturale ( égoïste hypocondriaque capricieuse et stupide ), son mari bête et intéressé exlusivement à la chasse, etc... on se lasse vite de ce qui se fait ou se dit entre ces gens. Et Austen met un point d'honneur à sur-caractériser chacun de leurs dialogues.


Donc l'ennui guette le lecteur, d'autant qu'Austen a doté Anne d'un caractère particulier : très intelligente, sensible et perspicace, elle repère instantanément les lièvres, sa première impression est toujours juste, elle capte le moindre indice alarmant, décrypte du premier coup les intentions, mais ensuite elle semble mettre des centaines de pages à confirmer ses impressions, pour dire un demi-roman plus tard : ah ! c'était donc ça, je n'en reviens pas ! ...alors qu'elle nous avait mis d'emblée sur la bonne piste - je dis bien elle, et pas juste l'auteur omniscient, puisqu'on a en permanence accès aux moindres pensées et émotions d'Anne.

Ce genre de gens existe, qui ont besoin d'un temps infini pour acertainer ce qu'ils avaient deviné at first sight ; mais ça rend la lecture un peu pénible.


On pourrait se dire que l'auteur a voulu faire le portait d'une personne qui manque de confiance en elle - ce qui s'accorderait bien avec la façon dont elle s'est laissé jadis persuader de renoncer à son amour - mais si c'était son intention, c'est un échec, parce qu'Anne semble au contraire avoir une grande fermeté intérieure, une profonde indépendance de caractère, une intime assurance, comme si Austen avait été incapable de se mettre vraiment dans la peau d'une faible, d'une indécise un peu perdue dans sa life.

D'ailleurs, à aucun instant on n'est inquiet pour Anne, on sent que c'est une winneuse inarrêtable, la force tranquille, un roc sous les dentelles.


Pour ne rien arranger, c'est écrit dans un anglais moins pétillant, moins vif que celui de P&P. Beaucoup de précisions plates, factuelles, peu utiles et qui alourdissent la progression, des étalages de réflexions trop évidentes, et par-ci par-là des phrases si contournées qu'il faut les relire en décortiquant sujet-verbe-complément pour les déchiffrer.


Un bon point: on acquiert pas mal de manières de dire qu'on ignorait ( et qu'on a peu de chance de replacer un jour ! ), mais on les acquiert d'autant plus facilement qu'elles sont beaucoup répétées ( l'anglais répugne moins que le français à recourir à la répétition ).


Autre bon point : on y croise des personnes sympathiques ( dont Anne ), Austen réaffirme son dédain pour les prétentions nobiliaires et dépeint des milieux un cran plus simples ( celui des officiers de marine ) comme beaucoup plus agréables.

Et elle hait Bath.

moranc
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le 7 sept. 2023

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moranc

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