Lorsqu'on lit une autobiographie, on se penche véritablement dans l'intimité d'un auteur, qui sensiblement, est un être comme un autre. Mais à la lecture de Petit Pays, premier roman de Gaël Faye, on réalise alors que certaines vies sont uniques. Non pas pour la difficulté qu'elles connaissent, ni pour la chance qu'elles contiennent, mais parce qu'elles sont un diamant caché au fin fond du monde. Il ne s'agit pas ici d'un destin unique, mais de donner la parole à ceux que l'on a tendance à oublier. C'est ce qui fait de l'histoire de l'artiste une oeuvre à part. Une vie unique, dont le but est de dénoncer une horreur collective.
L'histoire de Gaël Faye raconte son enfance embrumée par la guerre civile au Burundi et au Rwanda, en dire plus serait cataclysmique car la lecture du profane n'aurait plus de saveur; et il est si bon de découvrir ce livre pour la première fois.
L'Afrique dans sa beauté violente nous est décrite par tant de détails que l'on arrive à sentir l'odeur des épices sur le marché, la claque donnée par les vagues aux visages des enfants, la larme qui coule sur la joue du jeune homme qui voit son monde s'effondrer. Au delà d'un visuel géographique, l'histoire familiale du rappeur est le point culminant du récit que l'on ressent avec intensité. C'est la ferveur d'un père qui tente de maîtriser le grabuge comme il peut, la folie douce d'une mère qu'on aime si fort, autant qu'on aime la sienne. La fierté de cette famille est une œuvre dans l’œuvre, leurs racines africaines les convaincant d'une justice qui doit être faite, les poussant à rester chez eux malgré le danger. Toute une beauté dans l'horreur, qui nous permet aussi de comprendre l'attachement que l'on a, à sa vie, à son pays, à son peuple. Un débat d'actualité qui est illustré ici dans un passé que nous n'avons pas étudié, que l'on a refusé de nous transmettre. Ici Gaël Faye est notre professeur, et la leçon donnée est une conscience. Chose rare. Chose précieuse. C'est une réalité qu'il est urgent de connaître et de comprendre.
Les phrases sont mélodieuses, l'ambiance est tellement vive qu'on en oublie sa tristesse,on tremble avec lui dans ses cauchemars, on voit la réalité à travers ses pupilles dès qu'il se réveille. C'est une œuvre comme je n'en avais pas lu depuis longtemps, que certains pourraient trouver trop rapide, trop simple; mais qui a mes yeux dégage tout l'amour dont manque le monde et dénonce toute la force de l'injustice.
La simplicité de l'auteur se ressent dans ses lignes, on est bercés par un style pur et sans convenance. La mélancolie est la reine du roman, dont la fin n'est que la prémice d'une vie que l'auteur ne cesse de poursuivre, en cherchant dans chacun de ses gestes, a ressentir ses racines. Bien qu'aucune "morale" ne soit soupçonnée, on entend dans la voix du jeune homme et on le ressent dans son écriture, que chacun doit savoir d'où il vient. Et surtout ne pas l'oublier.
Gaël Faye étant connu d'abord pour son parcours musical en tant que rappeur, nous espérons que l'adage disant que l’œuvre d'un artiste n'est jamais terminée se confirmera et qu'il ne cessera d'écrire, dans la musique ou dans les livres, car il se pourrait bien que "Petit Pays" ne soit qu'un exemple de son talent; c'est dire.