Tout commence un soir de juin dans la maison de lady Verinder. Au cours du dîner célébrant son dix-huitième anniversaire, Miss Rachel Verinder entre en possession de la Pierre de lune, un singulier diamant que son oncle, officier des Indes, lui a légué par testament. Mais ce qui devait être une paisible réunion de famille devient un casse-tête insoluble lorsque le précieux joyau disparaît. Qui a bien pu le dérober, et pourquoi cet incident brouille-t-il à mort Rachel et son fiancé Franklin Blake? Serait-ce un effet de la malédiction hindoue rattachée à cette pierre? La lande du Yorkshire parsemée de sables mouvants, une servante bossue, une divinité orientale prête à tirer vengeance de ceux qui l’ont offensée: voici de quoi épaissir le mystère.
Le récit de cette inquiétante affaire est mené, à la manière d’une véritable enquête, par différents témoins oculaires. Premier narrateur à prendre la plume, Gabriel Betteredge est le type même du vieux serviteur, radoteur mais fidèle et pétri de bon sens. En tant qu’intendant de la famille Verinder, il se propose de relater la soirée précédant le vol du diamant. Car ne vous y trompez pas: Gabriel est observateur ! Lorsqu’il ne se trouve pas dans la cour, à fumer sa pipe au soleil en lisant « Robinson Crusoé », ce pittoresque personnage est pris de « la fièvre d’enquête ».
Puis, lorsque les traces du diamant nous conduisent à Londres, c’est Miss Clack, vieille fille bigote et maniaque, qui est chargée d’instruire le lecteur. Elle est la cousine pauvre de Rachel Verinder. Pauvre aux yeux du monde, certes, mais ô combien riche en biens spirituels ! Nous la suivons dans son combat contre les tentations terrestres, d’offices religieux en comités des bonnes œuvres. Armée de sa seule vertu et d’une bonne douzaine de traités dévots, Drusilla Clack nous donne sa version de l’histoire, sans parvenir à dissimuler tout à fait son penchant pour la médisance …
L’enquête est ainsi racontée jusqu’à son dénouement par plusieurs personnages qui y ont pris part. Cette narration variée et pleine d’humour donne à mon avis un charme tout particulier au roman. J’ai adoré !
Mais il y a aussi l’affaire en elle-même, avec ses rebondissements et un vrai détective pour en dénouer les fils ! Le sergent Cuff, amateur de roses et fin connaisseur de l’esprit humain, est un peu l’ancêtre de notre bonne Miss Marple ! Mais ses procédés s’apparentent aussi à ceux de Sherlock Holmes puisqu’il sait tirer le meilleur parti des indices matériels qu’il a mis à jour. Vous l’aurez compris, « La Pierre de Lune » (1868) est l’un des premiers vrais romans policiers du XIXème siècle et il a probablement inspiré les plus grands.
Si l’on ajoute à cela que l’auteur était sous l’emprise de l’opium en rédigeant ce livre et que l’histoire elle-même n’est pas sans liens avec cette sulfureuse médecine, il y a de quoi intriguer plus d’un amateur de suspens !
C’est là ma deuxième lecture de ce roman de Collins et je reste persuadée qu’il s’agit de l’apogée de son œuvre –pourtant aussi abondante que passionnante. A ne pas rater !