"Pivoine" est un très beau roman de l'auteure américaine Pearl Buck dont les écrits romanesques sur la Chine, ainsi que sa profonde connaissance de l'Extrême-Orient où elle vécut la plus longue partie de sa vie, lui ont valu le Prix Nobel de Littérature.
Pour les lecteurs séduits par son premier "roman chinois", "Vent d'Est, Vent d'Ouest", "Pivoine" paraîtra d'un abord plus difficile. Même s'il y est également question de la vie traditionnelle chinoise, la dimension de "Pivoine" se fait beaucoup plus vaste en explorant en profondeur le champ spirituel.
Chine du Nord, cité marchande de K'Aifeng, à la toute fin du XIXème siècle. Dans la maison d'Ezra, marchand Juif de mère chinoise qui compte parmi les notables les plus respectés, vivent à ses côtés son épouse, pieuse Juive orthodoxe, leur fils unique David, leurs nombreux serviteurs et Pivoine, une jeune esclave à la forte personnalité. Éprise du Jeune Maître David avec qui elle a grandi, Pivoine lui consacre son existence, orientant ses choix de vie avec doigté et discrétion et s'abîmant dans une abnégation toute d'amour et de soumission.
A travers "Pivoine", Pearl Buck aborde énormément de sujets structurant l'Homme et sa destinée. Il ne s'agit pas seulement de l'évocation des traditions domestiques - bien que les descriptions de la vie intime et de ses cérémonials soient sublimes - mais surtout du sens profond de la vie, de la puissance des atavismes, de l'importance de la descendance, etc.
Parfaitement écrit, le roman ne se laisse pénétrer qu'au bout de deux cent pages pendant lesquelles le lecteur peut avoir l'impression de tourner en rond dans une simple querelle idéologique et religieuse entre la grande tolérance chinoise et la rigueur judaïque, mais la persévérance du lecteur est largement récompensée par la profondeur que prend le récit dans sa seconde partie, plus riche en action, au rythme plus soutenu et aux enjeux plus passionnés. Le jeu en vaut vraiment la chandelle.
Pearl Buck, elle-même fille de presbytériens, connaît bien la question religieuse et en publiant en 1948 ce roman chinois traitant du peuple juif, elle attire notre attention sur l'intégration éphémère du peuple apatride en Chine puis sur sa désagrégation, analysant avec justesse les motifs qui gouvernent l'éternelle errance des Juifs, et mettant en exergue avec beaucoup de respect et de lucidité leurs talents comme leurs incapacités.
"Pivoine" est un grand roman social et sociétal qui exalte l'amour et la fidélité, et qui rend hommage une fois de plus à l'impressionnante force d'évocation de son auteure.