Pivoine
7.5
Pivoine

livre de Pearl Buck (1948)

Je me suis retrouvée avec ce roman sur ma liseuse parce que j’ai cherché des listes des meilleurs romans historiques, et j’ai pris au hasard les titres et les auteurs qui m’inspiraient. Concernant Pivoine, je ne connaissais ni l’auteur, ni son époque, ni ses thèmes de prédilection et je me suis lancée à l’aveuglette dans ce livre puisque sur ma liseuse, je n’ai pas la possibilité de retourner le livre pour lire la quatrième de couverture avant de commencer…


J’ai donc attaqué Pivoine sans le moindre à priori et quelques pages seulement ont suffit à me happer et à me séduire. Après cette lecture, j’ai cherché quelques informations sur cette auteure qui m’était inconnue, et j’ai découvert qu’elle avait été récompensée par le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre et par le prix Pullitzer pour sa trilogie La terre chinoise que je vais mettre de côté pour la lire sans faute un de ces jours !


Quoi qu’il en soit, après enquête, j’ai appris que Pearl Buck avait grandit en Chine, fait ses études aux États-Unis (sa terre natale) et vécu en Chine et au Japon. La culture, les traditions, la vie et le quotidien chinois, sa terre de cœur, sont à l’honneur dans la plus grande partie de son œuvre, et Pivoine ne déroge pas à la règle.


Le roman raconte en effet la vie d’une jeune esclave chinoise dans une riche famille juive installée en Chine pour fuir les persécutions propres à sa religion. La petite Pivoine est achetée par les parents du jeune David, enfant unique de la famille, qui a besoin de compagnie et d’une petite esclave de son âge pour prendre soin de lui sa vie durant.


Les deux enfants grandissent ainsi ensemble et voient naitre entre eux une amitié enfantine qui se teinte peu à peu de sentiments confus qu’une mère juive ne peut tolérer entre son fils, à la destinée héroïque, et une petite esclave chinoise.


L’intrigue principale, si l’on peu dire, se situe alors autour du choix de l’épouse de ce jeune homme dont le cœur bat plus pour les plaisirs de la vie et les affaires commerciales de son père que pour le dieu et les croyances de sa mère.


Pour autant, Pivoine n’est pas qu’un roman d’amour. Certes la relation chaotique qui se dessine entre la jeune esclave et son tout aussi jeune maître est au cœur du récit, de même que leurs sentiments et leur confusion de jeunesse, leurs manigances, leurs questionnements, leurs courses-poursuites et leur ignorance.


Mais Pearl Buck n’en réussit pas moins à traiter des sujets bien plus graves dans ce court roman. La place de la femme et son rôle dans la société aussi bien chinoise que juive est essentielle dans la mise en place et le déroulement de l’histoire. Et là ou le roman pourrait nous plonger dans la vie quotidienne des femmes chinoises comme on s’y attendrait de la part de Pearl Buck, il nous emmène plutôt vers le choc de deux cultures dans lesquelles le rôle des femmes n’est finalement pas si différent.


Des deux côtés, le maintien des traditions et des règles est tenu par les femmes. La mère, chez les juifs, garde sa famille dans le droit chemin de dieu tandis que les esclaves chinoises se bornent à adopter leur philosophie de vie dans leur quotidien et les relations avec leurs maîtres qui les suivent avec un plaisir évident.


Pivoine, toute jeune fille, incarne d’ailleurs à merveille cette philosophie pleine d’abnégation, de contemplation, de tolérance et de plaisir. Ses sentiments se partagent ainsi entre la passion et la raison et ses réflexions et intrigues forment des noeuds autour des autres personnages, particulièrement David, son pendant masculin qu’elle dirige subtilement - à la différence de la mère de ce dernier qui est d’une autorité brutale - sur le chemin qu’elle trace vers son avenir.


Les hommes de la maison semblent n’être que des pantins entre les doigts de ces femmes qui pourtant ne sont jamais maîtresse de leur destin.


En parallèle, la relation entre les immigrés juifs, installés en Chine depuis une ou deux générations, et les populations chinoises, plus accueillantes et tolérantes que n’importe quelle autre au monde, fait naître un nombre incalculable d’interrogations.


C’est le personnage de David qui incarne à lui seul la majorité de ces questionnements puisque le jeune homme est partagé entre la ferme décision de sa mère de faire de lui l’élu qui guidera le peuple vers la Terre Promise et la volonté de liberté de Pivoine qui lui souhaite une vie heureuse loin de ce qu’elle considère comme des obligations destructrices pour un dieu disparu.


L’habileté de l’auteur tient en sa façon à nous mener à travers cette intrigue de mariage, pas si originale, tout en nous abreuvant de questionnements et de réflexions philosophiques. J’ai particulièrement aimé la naïveté désarmante du vieux commerçant chinois qui ne peut que comprendre le massacre d’un peuple qui se prétend élu et seul vénérateur du vrai Dieu.


Le roman a d’intéressant sa façon de donner un point de vue étranger et lointain sur une problématique inconnue. Le peuple chinois accepte et tolère les populations juives sans plus poser de questions, et peu à peu s’interroge sur le sens de leurs croyances et leur mode de vie.


Contrairement à d’autres romans chinois que j’ai lu (je pense par exemple au Palanquin des larmes de Chow Ching Lie ou à Impératrice de Shan Sa, deux romans que j'ai adorés), Pivoine ne nous fait pas plonger dans la vie quotidienne chinoise, dans les traditions, la culture ou la religion de ce pays. On suit une famille atypique dont la vie est partagée entre une culture ancestrale et une terre d’adoption. Et finalement, on peut être déçu de ce roman si on s’attend à y trouver une peinture de la vie chinoise traditionnelle.


Cependant, quand on ne s’attend à rien comme c’était mon cas, ou quand on cherche un roman aussi fin qu’un trait d’encre de chine tracé à la plume, Pivoine est tout indiqué. Le style de l’auteur est léger et concis tout en étant très poétique et délicat. J’ai beaucoup aimé les descriptions des jardins teintées d’une douce féminité et de beaucoup de subtilité.


L’ensemble du roman, malgré les quelques réflexions qu’il soulève, aussi bien en terme de religion que de culture ou de féminité, reste très léger et très accessible. Inutile de paniquer à l’idée de tomber dans un pavé à la Faulkner par exemple (je n’ai toujours pas réussi à lire Le bruit et la fureur que j’ai pourtant commencé deux ou trois fois…), Pearl Buck écrit son roman comme on peint une estampe et la lecture est aussi plaisante que d’admirer une jolie toile.


J’attends avec impatience de pouvoir me replonger dans un autre roman de cet auteur ! En attendant, comme je n’aime pas l’idée de pouvoir me lasser d’un auteur ou d’un style que j’aime, je ne suis pas restée dans l’œuvre de Pearl Buck et j’ai mis le nez dans le premier pavé d’une célèbre trilogie qui raconte la guerre et la paix entre la Russie et la France, et même si j’avance beaucoup plus vite que je l’imaginais, le volume reste épais… Ce qui ne l’empêchera pas de faire partie des grands classiques que j’ai aimé !


À lire aussi, avec beaucoup d'autres sur : https://www.demain-les-gobelins.com/article/pivoine

GobelinDuMatin
8
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le 2 janv. 2018

Critique lue 968 fois

GobelinDuMatin

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