Henri de Régnier ne se lit plus beaucoup de nos jours... Pourtant à la fin du dix-neuvième, il avait sa petite réputation. Poète charnière entre le Parnasse et le Symbolisme, le brave Henri a disparu des mémoires... Je suis obligé d'avouer que son oubli est justifié...
Ici, des poèmes encore inspirés par l'Antiquité, avec du métier, mais guère de beauté et un ennui persistant... Petite curiosité : "Motifs de légende et de mélancolie", dont la première strophe suit, qui nous rappelle que le conte "la belle au bois dormant" était revenu en grande faveur à la fin de son siècle.
"L'essieu des chars se brise à l'angle dur des tombes
Où nos âmes de jadis reviennent s'asseoir
Et des gestes qu'ont fui des exils de colombe
Jettent à pleines mains des roses au ciel noir."
Homme intègre et d'une grande noblesse d'âme, Henri n'avait pas encore commis la faute qu'il paiera le reste de sa vie. J'avoue préférer ses vers postérieurs lorsque la mauvaise conscience et la douleur viennent réveiller un peu sa poésie.
Dans trois ans, Henri va se marier, avec Marie, la fille de José Maria de Hérédia. Pour ce faire, il trahira un pacte d'amitié conclus avec Pierre Louÿs, lui aussi amoureux de la belle... Profitant de sa position et des dettes du père, il fera fi de sa promesse de ne pas se déclarer sans en avoir prévenu l'autre et emportera le morceau en l'absence d'un Pierre Louÿs désargenté et encore inconnu... C'était quelques années avant qu'"Aphrodïte" ne lui apporte richesse et gloire...
Fille soucieuse des finances de la famille, Marie acceptera le prétendant qu'elle n'aime pas, non sans proposer le soir même sa virginité à celui qu'elle aime. Pierre, en jeune homme romantique refusera et partira oublier son chagrin à l'étranger...
Fille têtue, Marie se refusera sa vie durant à son époux et perdra son pucelage dans les bras d'un Pierre médusé un an plus tard, le jour anniversaire de ses noces...
La liaison qui suivit fut la croix que porta dignement Henri de longues années. Goujat d'un moment, il affronta ses torts en gentleman, invitant même Pierre Louÿs à l'accompagner à l'Hôpital lors de la naissance de son fils illégitime. Louÿs étant d'ailleurs le parrain de ce fils qu'on appellera Tigre mais qui fut baptisé Pierre par une mère revancharde...
La belle histoire se poursuivra quelques années, Louÿs étant intégré à la famille par son mariage avec Louise, jeune soeur de Marie que cette dernière lui a vendu ainsi : "Allez, accepte de l'épouser, pour me faire plaisir, et puis, comme ça, on se verra plus souvent, et puis, tu sais, elle me ressemble un peu, ça devrait t'exciter !!!".
Mariage raté, Louise n'avait pas les mêmes avantages que Marie lorsqu'elle était au lit...
De son histoire d'amour avec Marie, Pierre écrira son "Pervigilium Mortis", magnifique poèmes épique. Il écrira aussi "Psyché" mais en brûlera la fin et refusera toute publication, le roman sera donc posthume, achevé par son ami Claude Farrère...
De son côté Marie de Régnier laissera son histoire envahir une grande partie de son oeuvre, publiée sous le nom de Gérard d'Houville. Et vivra très âgée, séparée hélas trop tôt d'un fils qui n'aimait aucun des ses deux pères et se rêvait progéniture de Jean de Tinan, poète maudit ami de Pierre Louÿs qui fit pitié une nuit à Marie...
Tout ça nous éloigne un peu de ce recueil que je vous déconseille. De toutes façons, c'est introuvable...