Point Cardinal est un roman extraordinairement paresseux. Autrement dit, un enfilage de perles. Tout ce que l’on s’attend à y trouver s’y trouve. Rien de plus, rien de moins. Une ou deux fois, peut-être, sera-t-on décontenancé par la brièveté des chapitres : on aurait imaginé telle scène plus consistante, plus approfondie. L’explication tant attendue, à l’occasion d’un repas de famille, est expédiée en trois pages (et il y a peu de lettres par page, chez Sabine Wespieser), et la révélation (« Les enfants, je suis une femme ») frôle le ridicule. Ce désir de changer de sexe est d'ailleurs traité de la plus superficielle des manières, au sens le plus littéral du terme : se sentir femme, pour Laurent (c'est le nom de notre héros) signifie avant tout se précipiter dans les boutiques de lingerie, et frisonner d'extase à chaque essayage de dentelle.


Dentelle dans laquelle, donc, Léonor de Récondo ne fait guère. En réalité, en survolant son sujet, elle témoigne d’une grande mansuétude à l’égard de son lecteur. On n’ose imaginer l’effroi qu’aurait suscité la description minutieuse, circonstanciée, interminable, d’épisodes si tristement convenus. Car si la route est longue pour Laurent, elle est, heureusement, parfaitement balisée. Léonor de Récondo mène sa plume à l’allure d’un cheval lancé au grand galop - mais la plaine, hélas, est tellement morne qu’on distingue l’étape suivante à des kilomètres : essayage de lingerie, travestissement, madame découvre, explication, incompréhension, rejet, psy, hormones et réconciliation. Tout y est ? Non, j’oubliais les inévitables traumatismes d’enfance (le foot qui, le saviez-vous ?, exalte une certaine image de la masculinité) et un fils dont l’incompréhension se double d’un inattendu désir d’émancipation. La fille, en revanche, fait preuve d’une ouverture d’esprit doublée de surprenantes interrogations sur son corps (qui, à cet âge-là, eh oui, se transforme). On l’aura compris, Léonor de Récondo traite avec la même finesse, la même stupéfiante audace, les affres de la transsexualité et ceux de l’adolescence.


Point Cardinal est, aussi, un livre extraordinairement pauvre. Avec sa subtilité de roman-photo, Léonor de Récondo ne laisse aucune place à l’ambiguïté, au trouble, à la complexité des sentiments – ce qui, au vu du sujet, paraissait aller de soi. L’alternance des points de vue subjectif et omniscient étouffe toute singularité des personnages sous une épaisse couche de psychologisme prémâché. En outre, Léonor de Récondo n’hésite pas à gratifier le lecteur de puissantes réflexions, dont voici quelques exemples : « Est-il possible de connaître si peu quelqu’un avec qui l’on a toujours vécu ? », « Le destin va décider pour elle sans qu’elle ait son mot à dire » ou encore « Le monde s’ouvre, tout est possible ». Quelques phrases de la même veine sur la nécessité d’être soi-même nous conduisent, disons-le tout net, au bord du vertige métaphysique. Dieu merci, le style de l’auteur, dont l'économie de moyens se confond avec l'indigence pure et simple, nous ramène bien vite sur Terre ; et si, à la lecture d’une phrase telle que : « Mathilda n’est plus très loin, elle est même toute proche », nous nous prenons la tête entre les mains, c’est pour d’autres raisons.

Behuliphruen
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le 9 déc. 2017

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