"Laurent avait toujours su qu'il était blonde"

Le parallèle avec le film de Dolan est assez net en effet, mais par trop réducteur. Ce serait - scandale ! - oublier la grâce littéraire de Léonor de Récondo qui, depuis le divin Amours n'a cessé de surprendre son lectorat par des sujets où se joue l'ambivalence de la quête identitaire.


Il y a aussi le plaisir sensoriel que procurent le livre des éditions Sabine Wespieser : un objet un peu plus grand qu'un poche aux pages crème d'une douceur sans pareille, à la police élégante. Pas étonnant que cette ancienne violoniste baroque ait choisi cette maison au chic si feutré pour y publier ses merveilles.


L'histoire est à la fois simple et complexe : un père de famille se sent femme. Ça a toujours été le cas mais il était parvenu jusque là à tenir son identité à bouts de bras. Mais depuis quelque temps, le vernis craque de toutes parts. Depuis le ZanziBar où il officie sous les traits de Mathilda, Laurent, soutenu par une comparse, ne se sent plus seule. L'intrigue se fonde sur une question : va-t-il finalement rentrer dans le rang ou, au contraire, assumer pleinement ce qu'elle est ?


Périlleux sujet qui ne m'attirait guère à priori et puis, après avoir tant aimé Amours, je me laisse tenter. Et me voilà à pleurer au beau milieu du RER, contrainte d'arrêter ma lecture pour éponger mes joues ruisselantes.



[A ses deux enfants] Il y a une chose que je voudrais que vous sachiez, une chose dont je n'ai jamais douté. Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père.



Certaines situations sont si déchirantes qu'il est impossible de ne pas se laisser gagner par l'émotion. Et puis, il y a ce jeu permanent sur les pronoms, les genres et les accords qui disent bien l'ambiguïté permanente du personnage que j'ai trouvé très réussi.


Sans jamais verser dans les écueils de la mièvrerie ou de la commisération, l'auteur parvient à nous faire nous interroger sur nos propres choix et sur le courage ou la lâcheté qui sont les nôtres quand il s'agit d'affirmer ce que l'on est au plus profond :



Combien de temps faut-il pour être soi-même ? Et je voudrais demander cela à tous ceux qui n'ont pas à changer de sexe. Combien d'années, de décennies, pour être en adéquation ? Adéquation de corps, adéquation de rêves, adéquation de pensées, avec ce que nous sommes profondément, cette matière brute dont il reste quelques traces avant qu'elle ne soit façonnée, lissée, rapiécée par la société, les autres et leurs regards, nos illusions et nos blessures.



L'écrivain, sans jamais se départir de son empathie, nous raconte la variété des réactions de l'entourage - de sa femme, bouleversante, en premier lieu - des collègues,des voisins, et nous montre ce que coûte la différence, la non-adéquation aux normes habituelles.


J'ai trouvé ce récit à la fois extrêmement touchant et d'une grande pudeur, sensuel, doux et tragique. M'est avis qu'il pourrait contribuer à faire avancer la tolérance et la compassion, souvent mises à mal dans ce genre de débat.


Un très beau livre de la grande Léonor !
[Prix du roman des étudiants - France Culture / Télérama]

BrunePlatine
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Éblouissements littéraires [2017] et J'ai pleuré en les lisant

Créée

le 18 déc. 2017

Critique lue 656 fois

4 j'aime

Critique lue 656 fois

4

D'autres avis sur Point cardinal

Point cardinal
Behuliphruen
2

Point nécessaire

Point Cardinal est un roman extraordinairement paresseux. Autrement dit, un enfilage de perles. Tout ce que l’on s’attend à y trouver s’y trouve. Rien de plus, rien de moins. Une ou deux fois,...

le 9 déc. 2017

5 j'aime

2

Point cardinal
BrunePlatine
8

"Laurent avait toujours su qu'il était blonde"

Le parallèle avec le film de Dolan est assez net en effet, mais par trop réducteur. Ce serait - scandale ! - oublier la grâce littéraire de Léonor de Récondo qui, depuis le divin Amours n'a cessé de...

le 18 déc. 2017

4 j'aime

Point cardinal
Nadouch03
3

Critique de Point cardinal par Nadouch03

Une famille classe moyenne, deux enfants, deux boulots stables, un couple classique. Sauf que Laurent rêve de devenir Lauren, au risque de faire basculer vie de famille, vie professionnelle,...

le 3 nov. 2018

2 j'aime

Du même critique

Enter the Void
BrunePlatine
9

Ashes to ashes

Voilà un film qui divise, auquel vous avez mis entre 1 et 10. On ne peut pas faire plus extrême ! Rien de plus normal, il constitue une proposition de cinéma très singulière à laquelle on peut...

le 5 déc. 2015

80 j'aime

11

Mad Max - Fury Road
BrunePlatine
10

Hot wheels

Des mois que j'attends ça, que j'attends cette énorme claque dont j'avais pressenti la force dès début mai, dès que j'avais entraperçu un bout du trailer sur Youtube, j'avais bien vu que ce film...

le 17 déc. 2015

77 j'aime

25

Soumission
BrunePlatine
8

Islamophobe ? Vraiment ? L'avez-vous lu ?

A entendre les différentes critiques - de Manuel Valls à Ali Baddou - concernant le dernier Houellebecq, on s'attend à lire un brûlot fasciste, commis à la solde du Front national. Après avoir...

le 23 janv. 2015

72 j'aime

27