130 (petites) pages affûtées, cela suffit amplement à conférer une puissance impressionnante à ce texte de non-fiction (entre le récit et l’essai) de Louise Chennevière, dont je n’avais pas lu les deux précédents livres mais que je vais désormais suivre attentivement.
Le titre, dans sa simplicité, dit tout : Pour Britney est une lettre ouverte à, réhabilitation et apologie de, Britney Spears. Réhabilitation d’une figure de la pop culture au sein même du catalogue de P.O.L (Le Ravissement de Britney Spears, Jean Rolin, 2011), et apologie en forme de lettre ouverte, de pamphlet, en l’honneur d’une femme, d’une artiste réduite à son corps de femme ; comme l’écrivaine-prostituée Nelly Arcan, l’autre figure de ce livre ; et comme l’autrice, Louise Chennevière, et à travers elle toutes les (jeunes) femmes dans une société patriarcale. J’ignorais – je suis plus jeune qu’elle – le « traitement médiatique » imposé, infligé à ces deux artistes. Et sans être surpris (a-t-on tant progressé en 20 ans ?), c’est toujours un choc d’être plongé, confronté, immergé dans cette réalité alternative de femmes devant inlassablement subir le regard objectifiant masculin, partout, tout le temps, qui contrôle leurs corps et influence leurs pensées (le biopouvoir foucaldien, finalement). D’autant que j’ai le confort de ne le vivre que sur 130 pages, et par le filtre de l’écriture.
Nelly Arcan en avait fini par se pendre de toutes ces histoires-là, Nelly Arcan qui avait pour elle, l’intelligence et la poésie, mais dont la plus grande part de l’énergie avait été perdue, gâchée à cela : comparer ses seins à ceux des autres femmes à l’aune et sous la surveillance de ce regard-là, qui souvent traversait les yeux des garçons que l’on aimait, et ça faisait mal. (p. 74)
Pour servir son propos, l’écriture de Chennevière hachée, heurtée par des virgules placées de manière non-conventionnelle mais pleine de sens, est parfaite. On ressent sa rage, et comment ne pas la partager, qu’elle imprime dans ses phrases jetées en flots continus, sans paragraphes ni chapitres ; et les grandes marges laissées par P.O.L renforcent cette impression d’enfermement qui pousse à toujours continuer à lire.
… parce que pour se sentir exister il faut risquer, risquer cette mort mais surtout ne rien en dire, il faut le faire en cachette n’attirer ni le mépris ni la pitié de n’avoir pas réussi à se sortir de là, malgré tous les livres lus, malgré tous les diplômes et toutes les réussites, de se penser encore à travers le regard de tous les vieux pervers du monde, mais. (p. 66)
Pour Britney est un texte d’une puissance rare, politique au meilleur sens (littéraire) du terme, et qui a cette qualité des grands textes littéraires de donner envie de lire d’autres textes. En l’occurrence, Putain de Nelly Arcan, et tous les livres de Louise Chennevière.