"Au commencement, il y avait l'émotion. Puis vinrent les mots", Louis Ferdinand Céline. Cette phrase résume à elle seule la poésie, la littérature, et de manière plus générale, l'esthétisme littéraire. Jean Luc Godard dit quant à lui que "le cinéma, c'est filmer l'invisible" L'histoire de la littérature est marquée par le style. Qu'il soit des plus descriptifs et coquets chez Proust, des plus bas et ironiques chez Céline, des plus précieux chez Mishima... le style est l'émotion. La littérature des lumières puis de la deuxième moitié du XXème siècle a tenté d'occulter le style au profit du sens, du message, de l'idée.
La Grande force d'Amélie Nothomb est de filmer le visible, et d'être dénuée d'émotion.
Mais que faire d'un auteur qui n'a ni style, ni pensée ? Ni fond ni forme ?
Le style de Nothomb est des plus reconnaissables. C'est une Albert Camus qui s'ignore, une Meursault incapable de faire une phrase de plus de trois mots. Ce roman perpétue la tradition : pas une métaphore, hyperbole, ni même une comparaison. De l'action vide et plate, des petites phrases qui courent les unes après les autres et se succèdent en vitesse pour éviter de trop plonger le lecteur dans la forme. Se rapprochant de Zadig (Voltaire) par sa hantise pour les belles images, il est impossible d'imaginer quelqu'image pour ce roman. Le château familial, le visage des proches, le physique de Danièle, rien n'est décrit. Pas même les sentiments. Aucune exaltation, aucun état d'âme. Oser revendiquer la poésie comme fondement familial est une monstruosité sans nom, et une insulte. C'est bien simple, Nothomb n'est juste qu'en citant Rimbaud et Sartre.
Ses citations, d'ailleurs, sont des plus équivoques : Nothomb n'a aucune compréhension du sens profond des mots, de la poésie des sonorités. Elle cite du Nietzsche et du Sartre pour montrer qu'elle a un gros cerveau et qu'elle a déjà lu des livres, à défaut de le démontrer par une quelconque qualité textuelle. Oser citer "l'enfer c'est les autres" dans le contexte : "quand on sort d'isolement, on est content de retrouver des gens"; c'est ne rien comprendre sur rien.
Le style est d'autant plus mauvais qu'elle alterne entre une vision enfantine, notamment via l'incompréhension des situations, et une vision plus adulte, comparant certains personnages à des monuments de la littérature.
Le vocabulaire est assez drôle : Amélie a trouvé deux mots dans le dictionnaire et s'empresse de les réciter tout du long : "darwinien" et "à brûle-pourpoint". À croire qu'elle a une carence de vocabulaire.
L'histoire est grotesque, mal ficelée, mal enrubannée. Elle arrive à faire sonner faux une histoire vraie. Le kitsch des scènes d'amourette témoigne bien de cet élément, comme par exemple la jeune file offusquée parce qu'il n'a pas la tuberculose. C'est si mal amené, si mal expliqué, si mal raconté, qu'aucune émotion ne nait ni dans ce passage, ni dans le reste du temps. Ou plutôt si : le soulagement d'enfin pouvoir passer à autre chose.
Le style est lourd (notamment le passage sur les femmes énervées, où Amélie Nothomb se permet de faire des flashbacks de scènes se déroulant trois pages plus tôt).
Quand au fond maintenant : pourquoi cette histoire ? Pourquoi ces passages de la vie du père d'Amélie Nothomb ? Alors que certains passages trouvent une claire résonance sur le thème de la paternité, beaucoup de passages sont à occulter, et ne relèvent que du remplissage pour pouvoir sortir son torchon annuel. Entre la scène de peloton d'exécution qui n'est là que pour raconter l'histoire d'une façon vue et revue, kitsch et sans saveur (même elle le confesse en introduction), une grande partie de la prise d'otage qui ne sert à rien d'autre qu'à dire "oh mon papa il est malin", certains passages dans la famille de son grand père ("oh mon Papa c'est un dur à cuir"), le thème central est au final peu évoqué.
Mais pourtant lorsqu'il est amené, hélas de manière timide, il est intéressant. En effet, Amélie Nothomb nous livre la quête de paternité de son propre père. Elle qui retrace et retranscrit la vie de son père livre ses troubles dus à l'absence du sien. Cherchant en chacun un père, Patrick Nothomb est obsédé par cette figure, la recherchant dans son grand père, dans le père de Danièle, dans ses oncles (comme Simon) à peine plus âgés que lui, au point de n'évoquer, pour la naissance de son fils, que le fait qu'il devienne père.
Un autre passage particulièrement intéressant se déroule lorsque le personnage principal décide d'épouser Danièle suite à sa rencontre avec son père. Nothomb décrit d'ailleurs bien plus le personnage du père que celui de Danièle, et le choix de l'épouser semble être un moyen de trouver un nouveau père.
Toute la tragédie est ici : Certaines pistes de réflexions auraient été intéressantes à évoquer, à présenter, mais pourtant l'ensemble est bancal, disgracieux, sans fond ni forme, et digne d'un roman de gare.
J'aurais pu lire Céline, Stendhal, Proust, Baudelaire, Maupassant, Mishima... et pourtant je pense ne rien avoir lu aujourd'hui.